Fiora et le Téméraire
jusqu’à la lisière du bois, elle vit un
bûcheron occupé à débiter un arbre dont il entassait les morceaux dans une
sorte de traîneau. Elle eut l’envie soudaine de lui parler et s’approcha :
– Vous
êtes de par ici, brave homme ? Il n’y a pourtant plus beaucoup de maisons
aux alentours.
– J’habite
assez loin mais, par ce fichu temps, faut bien trouver d’quoi s’chauffer, pas
vrai ?
L’homme
s’était redressé et se frottait les reins et, du haut de sa grande taille,
considérait la jeune femme avec, dans ses yeux bleus, une lueur amusée. En
dépit d’une barbe et d’une moustache envahissantes, Fiora stupéfaite reconnut
Douglas Mortimer... Jetant un rapide regard autour d’elle pour voir où était
Battista elle le vit bander l’arc qu’il emportait toujours avec lui par
précaution pour tirer un vol de corbeaux. Il ne pouvait pas l’entendre :
– Qu’est-ce
que vous faites là ? chuchota-t-elle.
– Vous
voyez, je m’occupe. Ce n’est pas facile de vous rencontrer dites donc ? Le
roi s’inquiète de vous et se demande si vous n’êtes pas devenue bourguignonne ?
On lui a parlé d’une jeune femme qui ne quitte plus le Téméraire. Vous êtes sa
maîtresse ?
– Ne
dites pas de sottises : le duc n’a pas de maîtresse. Mais il tient à moi
parce qu’il voit en moi une sorte de talisman.
La
figure barbue se fendit d’un large sourire :
– Si
vous étiez à Grandson et à Morat vous êtes en effet un sacré talisman.
– On
lui a prédit que la mort ne l’atteindrait pas tant que je serai avec lui...
– Je
vois. Mais vous avez des jambes et quelque chose qui ressemble à une
intelligence. Pourquoi, depuis le temps, ne vous êtes-vous pas encore échappée ?
– Regardez
cet enfant qui tire des corbeaux ! Si je m’enfuis, il sera exécuté.
– Ah !
... C’est en effet un problème qu’il faut essayer de résoudre. Mais c’est aussi
une chance que vous soyez venue jusqu’ici. Voilà plusieurs jours que je vais au
camp proposer du bois, ou des lièvres comme hier. Je voulais qu’on s’habitue à
me voir. Je continuerai d’ailleurs mais j’avais à vous dire ceci : le roi
veut que je vous sorte de là car le danger augmente et il redoute pour vous...
– Remerciez-le
mais, pour l’instant, je n’ai rien à craindre. Ce que je voudrais savoir, c’est
où se trouve le duc René ? Le savez-vous ?
– Il
est encore assez loin, je crois, mais il sera ici avant la fin de l’année. C’est
ça, le danger.
– Je
ne le redoute pas. Pourriez-vous me dire si Démétrios Lascaris est encore avec
lui ?
– Le
médecin grec ? Il ne le quitte pas. Dites, vous ne croyez pas que nous
avons assez causé ?
– Encore
une question : pourquoi Campobasso est-il revenu ?
– Pour
l’argent... et pour vous. Prenez garde ! c’est un truand qui a réussi à
dégoûter jusqu’au roi qui l’a renvoyé. Il désertera certainement quand l’heure
sera venue. Le Roi vous est reconnaissant de ce que vous avez fait mais il
craint que vous n’en soyez victime. Campobasso vous veut, à tout prix, alors, à
présent que nous nous sommes vus, ne bougez plus de votre logis. Je vais
essayer de veiller sur vous mais, de toute façon, ce ne sera plus long.
Depuis
un moment déjà, Mortimer avait repris sa cognée. Battista qui avait tué deux
corbeaux revenait avec son gibier. Fiora le félicita de son adresse.
– Vous
comptez les manger ? On dit que c’est très dur.
– Pas
si on les fait bouillir assez longtemps, mais je comptais les offrir à ce
pauvre homme. Le gibier est rare en ce moment.
Le
faux bûcheron accepta le présent avec une gratitude touchante et un accent de
terroir qui amusa tellement Fiora qu’elle préféra s’éloigner rapidement avec le
page que les bénédictions de l’homme poursuivaient... Cette présence faisait
plaisir à la jeune femme et l’inquiétait en même temps. Si Mortimer était pris,
il serait pendu comme espion ainsi que cela venait d’arriver à un maître d’hôtel
du duc René, un gentilhomme provençal nommé Suffren de Baschi [xxvii] qui avait été
découvert alors qu’il tentait de faire entrer dans la ville de la poudre et de
la viande. Une curieuse histoire d’ailleurs ! Le duc Charles dans un
premier mouvement de colère avait ordonné qu’on le branche. Le Grand Bâtard, le
sire de Chimay et Campobasso avaient prié qu’on lui laissât la vie mais, tandis
que les deux
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