Fortune De France
maintenant les Eyzies. Mespech, le nom de
la châtellenie acquise par les Siorac, vient de mes, maisons en oc, et pech, colline.
Je
ne suis pas moi-même protestant et ce n’est pas par austérité huguenote que
j’ai assuré, seul, ma documentation. C’est plutôt par volupté : pour être
certain que je n’allais manquer aucun des détails charmants, colorés, horribles
ou savoureux dont foisonnent les Mémoires de ce temps.
Fortune de France, en tant que récit,
forme un tout et se suffit à lui-même. Je n’exclus pourtant pas de lui donner
une suite, mais sans m’y engager par avance, désirant préserver ma liberté
jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’à la première page de mon prochain
livre.
Le
lecteur trouvera en appendice un petit glossaire des quelques mots que
j’emploie qui ne sont plus dans notre usage : mots français duXVI e siècle, mais aussi mots de langue d’oc quelque peu
francisés, les gens instruits de ces régions – et Montaigne le premier
– ne se faisant pas scrupule de mêler des expressions périgordines à la
langue du Nord.
1977
CHAPITRE PREMIER
La
noblesse de ma famille ne compte pas ses huit quartiers. Elle ne commence
qu’avec mon père. Je le dis sans vergogne aucune. On pense bien que si je
voulais déguiser, je ne commencerais pas ce récit. J’ai dessein de l’écrire
tout droit, sans dévier, comme on trace un sillon.
M.
de Fontenac, parmi les vilenies qu’il répandait sur notre compte, osait
prétendre que mon arrière-grand-père, comme M. de Sauve, avait été
laquais : mensonge que je lui ai fait rentrer dans la gorge.
Comme
chacun sait, M. de Sauve a dû sa place de ministre autant à sa merveilleuse
habileté qu’à la carrière que fit sa femme au service de la reine Catherine
dans les couchettes des princes du sang. Notre famille n’est pas montée si
haut, ni par de tels moyens. Elle n’est pas non plus venue de si bas, encore
qu’il n’y ait pas de honte, je trouve, à être laquais, si c’est là que la peur
de mourir de faim peut vous conduire un pauvre drole.
Mais
enfin, la vérité, c’est que mon arrière-grand-père, François Siorac, n’a pas
servi chez les autres. Il possédait en propre et ménageait de ses mains une
bonne terre près de Taniès, dans le Sarladais. Je ne puis dire l’étendue de son
bien, mais il n’était ni petit ni médiocre, à en juger par la taille qu’il
payait au Roi, la plus élevée de sa paroisse. Il n’était pas non plus avare,
puisqu’il baillait dix sols par mois à son curé pour que Charles, son cadet,
apprît le latin, avec l’espoir, peut-être, de le voir curé à son tour.
Mon
grand-père Charles, bel homme dont la barbe et les cheveux tiraient sur le
roux, comme mon demi-frère Samson, apprit bien le latin, mais aux oraisons il
préféra l’aventure : à dix-huit ans, il laissa son village, et partit vers
le nord pour faire sa fortune.
Il
la fit bien, puisqu’il épousa à Rouen la fille d’un apothicaire dont il était
devenu le commis. Je ne sais comment, étant commis, il réussit à étudier pour
passer ses grades d’apothicaire, ni même s’il les passa vraiment, mais à la
mort de son beau-père, il reprit sa pratique et mena fort bien ses affaires. En
1514, l’année où mon père naquit, il était assez prospère pour acheter, à deux
lieues de Rouen, un moulin entouré de beaux prés, qui s’appelait la Volpie.
C’est à cette époque qu’entre Charles et Siorac un de surgit, dont mon
père se gaussait, mais qu’il conserva. Cependant, je n’ai vu sur aucun des
papiers conservés par mon père la mention « noble homme » devant la signature de Charles de Siorac, seigneur de la Volpie. Preuve que mon
grand-père ne voulait pas tromper son monde, comme tant de bourgeois qui
achètent une terre pour se parer d’un titre que le Roi ne leur a pas donné. Les
faux nobles abondent comme bien on sait. Et à dire vrai, quand leur fortune est
assez rondelette pour mériter une alliance, les vrais nobles n’y regardent pas
de si près.
Mon
père, Jean de Siorac, puisque c’est ainsi qu’il s’appela, était fils cadet,
comme l’était Charles son père, et comme je le suis moi-même. Et Charles, se
souvenant de ce que le vieux François Siorac avait fait pour lui, avec ses
leçons de latin si coûteuses, envoya Jean faire sa médecine à Montpellier.
C’était un long voyage, un long séjour, et un grand sacrifice d’argent,
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