Francesca la Trahison des Borgia
à la pension. Cela m’a pris du temps, mais j’ai fini par comprendre que c’était du soufre. À mon avis il devait y avoir encore une certaine quantité de poudre entreposée là-bas, qui a explosé lorsque le bâtiment s’est embrasé. Peut-être Il Frateschi projetait-il de commettre d’autres attentats en ville, après la destruction de la basilique. Cela aurait provoqué un véritable chaos, et il est probable que le Sacré Collège aurait accepté le premier pape venu – en tout cas quiconque se prétendant capable d’y mettre un terme.
César confirma mes propos d’un lent signe de tête. Il relâcha son étreinte, sans pouvoir détacher ses yeux des barils.
— As-tu vu qui avait allumé la mèche ?
Je secouai la tête. Ce détail me laissait encore perplexe.
— Pour autant que je le sache il n’y avait personne dans le grenier, quand je suis montée.
Il était toujours possible que quelqu’un ait pris la fuite par un autre escalier que celui par lequel j’étais arrivée, mais cela voulait dire qu’il aurait dû traverser tout cet espace à découvert, et au pas de course encore, au vu du peu de temps qu’il restait avant l’explosion.
— Vittoro est sur le point d’interrompre la messe et d’ordonner l’évacuation immédiate des lieux, m’informa alors César. Il faut l’avertir.
Nous redescendîmes alors rapidement à l’étage d’en dessous par un escalier en colimaçon. Je restai en retrait pour ne pas me faire voir et César alla annoncer à Vittoro que le pire avait été évité. Lorsqu’ils revinrent ensemble, mon vieil ami m’examina un moment de près.
— Ton séjour dans l’autre monde ne semble pas t’avoir affectée outre mesure, à ce que je vois.
— Je suis désolée…, commençai-je, mais il balaya mon début d’excuses d’un grand geste de la main.
— Plus tard, Francesca. Si ce que le Signore César vient de me dire est vrai, tu mérites amplement d’être pardonnée.
Je me sentis très humble en voyant la compréhension dont il faisait preuve à mon égard, même si je n’étais pas autant convaincue que lui que cela suffirait à m’absoudre. Une fois de plus j’avais entraîné mes amis dans ma quête de vengeance, et leur avais certainement causé beaucoup d’angoisse et de tristesse. Qui pouvait dire ce que je leur ferais subir la prochaine fois ?
À moins d’arriver à y mettre un terme, ici et maintenant.
— Morozzi, fis-je dans un souffle, et César hocha la tête. Nous laissâmes à Vittoro le soin de répondre aux inévitables questions dont le pape et les notables les plus perspicaces allaient sous peu l’assaillir, et nous précipitâmes dans l’une des allées latérales. À peines avions-nous parcouru quelques mètres que je m’arrêtai brusquement.
Devant nous se dressait la grande clepsydre que l’on avait érigée à l’écart de la grande nef peu après la construction de la basilique, et qui depuis n’avait jamais cessé de mesurer le passage des heures canoniques, des laudes aux vêpres, et à chaque nouvel office de la journée. Cette clepsydre était une merveille de technique, qui devait mesurer près d’un mètre et consistait en deux réservoirs de pierre sculptée, l’un situé au-dessus de l’autre. Une petite ouverture dans le réservoir du haut permettait à une quantité précise d’eau de s’écouler dans celui du bas. Ainsi, quand le niveau de l’un s’élevait, celui de l’autre baissait, ce qui avait pour effet d’actionner des cylindres affichant le jour, le mois, la phase de la lune et le signe astrologique actuels. De l’avis général la clepsydre est un vestige du paganisme, puisque tout le monde sait que dans l’Antiquité ce type de mécanisme jouait un rôle précis dans la pratique du culte ; ce qui fait que de nos jours, plus personne n’en fait grand cas. Moi-même j’étais passée devant un nombre incalculable de fois, mais dans mes jeunes années j’avais dû tout de même la trouver digne d’intérêt, car j’étais allée jusqu’à demander à mon père de m’en expliquer le fonctionnement. Toutefois, une fois ma curiosité satisfaite, je ne m’en étais plus guère préoccupée – si ce n’est pour me demander de temps à autre quelles autres merveilles étaient parvenues jusqu’à nous sans que nous ayons l’intelligence de les voir.
Cela faisait quelques minutes déjà que je me demandais comment il était possible que je ne sois pas tombée
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