Francesca la Trahison des Borgia
place, dans les rues (où des passants surpris s’ôtèrent d’un bond de mon chemin), sur le pont Sisto, et enfin sur la place devant Saint-Pierre. Devant moi se dressait l’endroit sur terre où je redoutais le plus d’entrer. Un garde tenta bien de me stopper mais je passai comme une flèche devant lui et continuai ma course, la respiration haletante, le cœur battant si fort que je crus bien le sentir exploser dans ma poitrine, en haut des marches de la basilique pleine d’invités, devant les bannières des grandes maisons Sforza et Borgia, pour enfin arriver dans la très ancienne nef.
Là où la messe venait de commencer.
34
Confíteor Deo omnipoténti… Je confesse au Dieu Tout-Puissant…
Dès que je fis mon entrée dans la basilique, le terrifiant souvenir de ce qu’il s’y était passé l’année précédente me submergea. Dans le même temps je m’armai de courage pour le châtiment divin qui n’allait certainement pas manquer de tomber sur moi, j’en avais bien peur ; car comment une créature des ténèbres oserait-elle entrer dans un lieu aussi sacré sans en payer le prix ? Seule la conviction que j’étais venue ici pour faire le bien (assurément, Dieu prendrait cet élément en compte dans Son jugement ?) réussit à me faire avancer. Cela et le fait que sincèrement, je ne voyais aucune autre alternative.
Ainsi je rassemblai mes forces, et me précipitai vers mon destin. Deux gardes postés non loin de l’entrée de la nef s’élancèrent pour m’arrêter. Ils étaient gros et empruntés dans leur armure, alors que de mon côté le sentiment de pure terreur qui m’accablait l’instant d’avant me donnait à présent des ailes. Je plongeai sous leurs bras tendus pour me barrer le passage, et continuai ma course folle.
… beátæ Maríæ semper Vírgini… à la bienheureuse Marie toujours vierge…
L’église embaumait l’encens. À l’autre bout de la nef j’aperçus Borgia, tout de rouge vêtu, qui se tenait devant l’autel et avait levé les bras pour réciter la sainte liturgie.
… beáto Michaéli Archángelo… à saint Michel Archange…
Plusieurs des nobles invités (pas trop nobles, tout de même, car ils avaient été placés vers l’arrière) remarquèrent ma présence. Une légère commotion s’ensuivit alors, car ils n’arrivaient pas à décider s’ils devaient tenter de m’arrêter ou faire comme si de rien n’était.
… beáto Ioanni Baptístæ… à saint Jean-Baptiste…
Sans me soucier d’eux je fonçai vers une allée au hasard, et me retrouvai non loin du pilier derrière lequel était dissimulé l’escalier qui menait au grenier. Celui-ci s’étendait sur toute la surface de la basilique, au-dessus du plafond décoré. J’avais bien failli y mourir l’année précédente, mais s’il plaisait à Dieu ces souvenirs-là allaient rester bien enfouis.
… sanctis Apóstolis Petro et Paulo… aux saints apôtres Pierre et Paul…
Soudain un homme surgit pour m’intercepter ; d’abord sévère, son visage fut rapidement en proie à la plus grande confusion.
Vittoro !
… ómnibus Sanctis, et tibi, Pater… à tous les saints et à vous, mon Père…
— Francesca ?
… quia peccávi nimis cogitatióne, verbo et ópere… que j’ai beaucoup péché, par pensées, par paroles et par actions…
Je le vis tiraillé entre le saisissement et la joie soudaine de découvrir que finalement, j’étais bien vivante. Qu’il puisse ainsi se réjouir pour moi, sans même se sentir trahi, m’alla droit au cœur. Pour sûr, je ne méritais pas d’aussi généreux amis.
… mea culpa, mea culpa, mea máxima culpa. C’est ma faute, ma faute, ma très grande faute.
— Aide-moi, l’implorai-je. Quelque chose de terrible est sur le point d’arriver !
À ce jour, je ne m’explique pas comment ce brave homme parvint à réagir aussi promptement. En une seconde il évalua la situation, l’accepta pour ce qu’elle était (malgré son caractère éminemment bizarre) et prit sa décision. Les explications pouvaient attendre ; il fallait agir, et maintenant.
— De quoi as-tu besoin ? s’exclama-t-il en me prenant par le bras, pour m’attirer au plus vite à l’écart.
Sans songer même une seconde à reprendre mon souffle, je haletai :
— Je pense que Morozzi a placé de la poudre à canon quelque part dans la basilique.
Peut-être savez-vous que le soufre est l’un des composants de la poudre à canon avec le
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