Francesca la Trahison des Borgia
pas me reconnaître. Déjà, le bruit courait que la strega de Borgia était revenue du monde des morts.
Portia était dans la loggia lorsque j’arrivai. Elle laissa tomber le panier qu’elle avait en main et me regarda, bouche bée. L’instant d’après j’étais à genoux devant elle, et elle m’étreignait farouchement.
— Grâce à Dieu vous êtes bien vivante, et en un seul morceau encore ! s’écria-t-elle. Mais Donna, si jamais vous me refaites pareil mauvais coup, je jure sur la Sainte Vierge que je…
— Si jamais je devais de nouveau comploter ma mort, la rassurai-je précipitamment, tu seras la première à le savoir, je te le promets. Maintenant dis-moi, est-ce que ce ne serait pas un bon fumet de poulet que je sens, par hasard ?
Nourrie, baignée et enfin allongée sur mon lit, je dormis sans l’aide de la poudre de Sofia, et sans faire de cauchemars. Peut-être rêvai-je, mais je n’en ai aucun souvenir – ou bien mon esprit choisit-il cette fois-là de ne pas s’en rappeler. Je me réveillai en songeant à Rocco. Assurément je ne saurais faire davantage que lui envoyer une brève missive où je m’excuserais de l’avoir trompé, et ensuite laisser enfin cet homme en paix. Il avait tous les droits de tenter d’être heureux avec Carlotta d’Agnelli, et j’étais convaincue qu’elle s’y emploierait de son mieux. Je pensais aussi à Nando, en disant cela.
Ainsi, imaginez ma surprise lorsque j’ouvris la porte à un messager livide, tremblant à l’idée d’affronter la sorcière revenue du monde des morts.
Le pauvre homme me jeta un paquet dans les bras, refusa tout paiement et s’enfuit à une telle vitesse que j’attendis, avant de rentrer dans mon appartement, d’être sûre qu’il ne tombe pas tête la première dans les escaliers.
Je posai le paquet sur ma table de travail, et l’ouvris lentement. J’eus un coup au cœur en reconnaissant la sphère pourpre striée d’or que Rocco avait créée sous mes yeux. Il l’avait façonnée en une lampe, sur la base de laquelle il avait inscrit les mots : Ex obscuritate lucem fers – Dans les ténèbres, tu apportes la lumière.
Je ne pleurai pas (du moins m’en persuadai-je), mais restai longtemps assise là, une main posée sur la lampe, à réfléchir à ce que la foi d’un homme tel que lui signifiait pour moi. Tant de batailles restaient à livrer – pour protéger Lux, garder Borgia en vie, résoudre le problème posé par della Rovere et la menace de guerre qu’il faisait peser sur nous, ou encore découvrir quel ennemi, si ce n’était Morozzi, se cachait derrière les tentatives d’empoisonnement contre le pape. Par-dessus tout, je devais trouver la solution en moi pour apaiser les terribles ténèbres qui menaçaient encore et toujours de me dévorer. Et pourtant ce jour-là, assise à ma table où j’avais repris mes expériences, en ce lieu que je pouvais véritablement considérer comme ma maison, je sentis confusément qu’un jour, j’arriverais peut-être à devenir une femme meilleure.
Sentant l’espoir renaître, je me levai et allumai la lampe. En voyant les premiers reflets irisés m’éclairer, mon cœur s’illumina et je souris.
C hronologie
Mars 1493
La Niña, la caravelle de Christophe Colomb, parvient à rentrer à Lisbonne après avoir essuyé une terrible tempête dans l’Atlantique.
Le grand navigateur italien annonce la découverte d’immenses territoires vierges à l’ouest.
Printemps 1493
Bien décidé à accroître encore le pouvoir et la richesse de sa famille, Rodrigo Borgia (devenu le pape Alexandre vi ) s’empare de terres appartenant au royaume de Naples pour les octroyer à son fils cadet Juan, récemment nommé duc de Gandie. Ferdinand i , roi de Naples, menace de déclencher une guerre si ses droits continuent à être ainsi bafoués par la papauté. Une rumeur persistante veut que le pape ait également l’intention de conférer le titre de cardinal à son fils aîné de dix-sept ans, César, afin de jeter les bases d’une dynastie de papes Borgia qui régneraient sur la chrétienté toute entière. Ceci provoque l’inquiétude de nombre de grandes familles italiennes et de prélats de l’Église, et renforce encore l’opposition contre sa papauté. De Florence où il est basé, le frère dominicain fanatique Girolamo Savonarole prêche contre la corruption de l’Église catholique romaine
et du pape Alexandre vi .
25 avril 1493
En réponse aux
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