Furia Azteca
d'hommes qui s'étaient transmis ce patrimoine de génération en génération.
" Les dieux savent que ce trou n'est pas un endroit bien attrayant.
Pourtant nous avons tout ce qu'il nous faut sur place. La marée nous procure de quoi manger sans même que nous ayons à chercher. Les cocotiers nous donnent le sucre, l'huile de nos lampes et une boisson fermentée. Nous tirons d'un palmier les fibres dont nous tissons nos vêtements ; d'un autre, la farine et d'un autre encore des fruits, les coyacap˚li. Nous n'avons pas besoin de faire des échanges avec les autres tribus et les marais qui nous entourent nous mettent à l'abri de leurs attaques. "
II continua ainsi à m'énumérer, sans grand enthousiasme, les avantages naturels d'Aztl‚n, mais j'avais cessé de l'écouter et je pensais combien j'étais loin de ce " cousin " qui portait le même nom que moi. Peut-être même avions-nous un ancêtre commun, mais nous avions évolué d'une façon totalement différente à cause de l'énorme disparité de notre éducation et de notre environnement. Ce cousin aurait très bien pu vivre dans l'antique Aztl‚n que ses aÔeux avaient refusé de quitter. Ignorants de l'écriture, ils ignoraient également tout ce qui en découle : l'arithmétique, la géographie, l'architecture, le commerce, les conquêtes. Ils en savaient encore moins que les Chichimeca, ces barbares cousins qu'ils méprisaient tant et qui eux, du moins, avaient osé s'aventurer en dehors de l'horizon borné d'Aztl‚n.
Parce que mes ancêtres avaient abandonné ce cul-de-basse-fosse, j'avais hérité des connaissances et de l'expérience accumulées par les Azteca-Mexica, sans parler des arts et des sciences des civilisations antérieures.
Du point de vue culturel et intellectuel, j'étais aussi supérieur à mon cousin Mixtli que les dieux l'étaient par rapport à moi. Cependant, je m'abstins de faire étalage de ma supériorité, car il n'était pas responsable de la condition dans laquelle l'avait plongé l'apathie de ses 811
pères. Je me sentais prêt à faire tout mon possible pour le persuader d'abandonner Aztl‚n pour un monde de lumière.
Canautli, le vieux conteur, assistait à notre repas et nous regardait déguster les cuisses de grenouilles d'un oil envieux.
Tout affamé que j'étais, je trouvai le moyen de leur raconter brièvement, entre deux bouchées, ce qu'étaient devenus les Azteca après avoir quitté
Aztl‚n. De temps à autre, ils hochaient la tête, en signe de muette admiration ou peut-être d'incrédulité, tandis que je dressais ce glorieux tableau. J'esquissai une rapide biographie de l'actuel Uey tlatoani Motecuzoma et une description lyrique de Tenochtitl‚n. Le vieux grand-père ferma les yeux en soupirant, comme s'il voulait imaginer toutes ces merveilles dans sa tête.
" Jamais les Mexica ne seraient montés si haut et si vite sans l'écriture, poursuivis-je. Vous aussi, tecuhtli Mixtli, vous pourriez faire d'Aztl‚n une grande cité et égaler vos cousins mexica si vous appreniez l'art de consigner les paroles.
- On est très bien comme on est ", répliqua-t-il. Pourtant, son intérêt s'éveilla quand je lui montrai comment son nom s'écrivait, en grattant le sol de terre battue avec un os de grenouille.
Il se faisait tard et mon cousin m'offrit une paillasse pour dormir.
J'achevai mon allocution en leur expliquant comment j'étais arrivé à Aztl‚n en remettant mes pas dans ceux de mes ancêtres pour tenter de prouver la véracité de la légende.
" Vous pourrez peut-être me répondre, vénérable conteur, dis-je en me tournant vers le vieux Canautli. Ont-ils emporté des provisions en vue d'un éventuel repli quand ils sont partis d'ici ? "
Je ne reçus pas de réponse ; le vénérable conteur s'était endormi.
" Vos aÔeux sont partis avec presque rien ", me dit-il le lendemain matin.
Je venais de déjeuner avec toute la famille de poissons minuscules et de champignons grillés. Mon homonyme était parti pour s'occuper des affaires de la cité et
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m'avait laissé en compagnie du grand-père. Contrairement à la veille, c'est lui qui fit, ce jour-là, tous les frais de la conversation.
" Si nos conteurs ont dit vrai, les émigrants n'ont emporté que quelques affaires et de maigres provisions de route. Ils ont pris l'effigie de leur nouveau dieu, une statue de bois faite à la va-vite, parce qu'ils étaient pressés de partir. Je pense que depuis vous en avez fabriqué d'autres pour la
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