George Sand et ses amis
boutonné d'or fin, une pelisse pareille garnie de fourrure noire et jetée sur l'épaule, et un pantalon de casimir amarante avec des ornements et broderies d'or à la hongroise. J'avais aussi les bottes de maroquin rouge à éperons dorés, le sabre, le ceinturon de ganses de soie cramoisi à canons et aiguillettes d'or émaillés, la sabretache avec un aigle brodé en perles fines, rien n'y manquait. En me voyant équipée absolument comme mon père, soit qu'il me prît pour un garçon, soit qu'il voulût bien faire semblant de s'y tromper, Murat, sensible à cette petite flatterie de ma mère, me présenta en riant aux personnes qui venaient chez lui, comme son aide de camp, et nous admit dans son intimité.»
Aurore était gênée par ce bel uniforme très lourd et très serré. Aussi se lassa-t-elle bien vite de traîner son sabre et d'arborer sa pelisse. Volontiers elle quittait la fourrure et les galons pour le joli costume espagnol de l'époque, robe de soie noire très courte avec une frange qui tombait sur la cheville, mantille de crêpe noir à large bande de velours.
Murat, si redoutable à la guerre, si héroïque sur le champ de bataille, était le plus douillet des hommes devant la maladie. George Sand se souvient de l'avoir entendu rugir comme si on l'assassinait, au milieu de la nuit, pour une simple inflammation qui ne mettait pas sa vie en danger. Elle se rappelle l'émoi qu'elle ressentit et ce cri qu'elle poussait au milieu des sanglots : On tue mon prince Fanfarinet. C'est le nom que dans ses contes elle donnait au beau Murat. Il était, d'ailleurs, plein de sollicitude et même de tendresse pour elle. Un jour, en s'éveillant, elle trouva à ses côtés, la tête sur le même oreiller, un jeune faon, couché en rond, les pattes repliées. Elle le tenait enlacé entre ses bras. C'était un cadeau que Murat lui avait apporté nuitamment, au retour de la chasse, et il venait, de bon matin, contempler le tableau. Certains foudres de guerre ont de ces recoins idylliques dans l'âme.
Madame Dupin avait mis au monde à Madrid un enfant chétif et aveugle ; puis il fallut abandonner le palais du prince de la Paix. L'armée française était obligée de battre en retraite. Nos troupes, déguenillées et rongées par la gale, se repliaient sur les Pyrénées, tandis que Murat allait occuper le trône de Naples. On traversait des villages incendiés, on suivait des routes encombrées de cadavres. On avait soif, et dans l'eau des fossés on trouvait des caillots de sang. On avait faim, et l'on manquait de vivres. Un soir, dans un campement français, Aurore partagea la gamelle du soldat, un bouillon très gras où le pain se mêlait à quelques mèches noircies : c'était une soupe faite avec des bouts de chandelles.
Après maintes souffrances, la famille arriva à Nohant, chez la grand'mère, et George Sand la revoit, telle qu'elle lui apparut, sur le seuil de la demeure : «Une figure blanche et rosée, un air imposant, un invariable costume composé d'une robe de soie brune à taille longue et à manches plates, une perruque blonde et crêpée en touffe sur le front, un petit bonnet rond avec une cocarde de dentelle au milieu.» C'était la première fois que Maurice amenait sa femme et ses enfants, et sur-le-champ il fut nécessaire de les soigner tous pour l'affreuse maladie éruptive qu'ils avaient rapportée d'Espagne. Aurore, au bout de quelques jours de traitement, fut guérie. Elle eut vite lié connaissance avec Hippolyte, un gros garçon de neuf ans que Maurice avait eu avant son mariage, et aussi avec Deschartres, qui, pour recevoir les nouveaux hôtes, avait revêtu son plus beau costume : culottes courtes, bas blancs, guêtres de nankin, habit noisette, casquette à soufflet. Il semblait qu'après toutes les péripéties du voyage en Espagne ce dût être le repos et le bonheur. Bien au contraire, le petit aveugle mourut, consumé par la fièvre, et ce fut pour madame Maurice Dupin une telle douleur qu'elle éprouva une véritable hallucination. Elle s'imagina qu'on l'avait inhumé vivant, et elle persuada à son mari d'aller rouvrir la tombe. George Sand a relaté l'événement dans une des pages les plus tragiques de l'Histoire de ma Vie. Il y passe un frisson d'épouvante :
«Mon père se lève, s'habille, ouvre doucement les portes, va prendre une bêche et court au cimetière, qui touche à notre maison et qu'un mur sépare du jardin ; il approche de la terre fraîchement
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