George Sand et ses amis
remuée et commence à creuser... Il ne put voir assez clair pour distinguer la bière qu'il découvrait, et ce ne fut que quand il l'eut débarrassée en entier, étonné de la longueur de son travail, qu'il la reconnut trop grande pour être celle de l'enfant.
C'était celle d'un homme de notre village qui était mort peu de jours auparavant. Il fallut creuser à côté, et là, en effet, il retrouva le petit cercueil. Mais, en travaillant à le retirer, il appuya fortement le pied sur la bière du pauvre paysan, et cette bière, entraînée par le vide plus profond qu'il avait fait à côté, se dressa devant lui, le frappa à l'épaule et le fit tomber dans le fossé.»
Surmontant l'émotion qui l'agitait et lui mettait la sueur aux tempes, il rapporta le cercueil de son enfant. La mère dut se rendre compte que l'oeuvre de la mort était accomplie. Elle voulut pourtant garder le petit cadavre un jour et une nuit encore ; puis ils allèrent le confier à la terre dans un coin du jardin, au pied d'un vieux poirier. Une semaine plus tard, Maurice, en rentrant de La Châtre où il avait dîné chez des amis, était désarçonné par un cheval ombrageux qu'il avait ramené d'Espagne. Il tomba sur un tas de pierres et se brisa les vertèbres du cou. La mort dut être instantanée.
Ce fut un deuil cruel ; qui laissait face à face une mère affolée de douleur, une veuve désespérée. Les larmes auraient pu, semble-t-il, les réconcilier, effacer les souvenirs amers. Tout au rebours, leur tendresse jalouse et égoïste va se disputer la direction et l'affection de l'enfant. Sur tous les points essentiels de l'éducation elles seront en désaccord. La mère d'Aurore lisait et lui conseillait de lire des contes, des récits fantastiques, les romans de madame de Genlis, alors que la vieille madame Dupin, férue de principes voltairiens, eût souhaité un autre commerce intellectuel. Quoi qu'il en soit, George Sand contracta dès le premier âge ce goût passionné de la lecture qu'elle a délicieusement analysé dans la septième des Lettres d'un Voyageur, adressée à Franz Liszt :
«Un livre a toujours été pour moi un ami, un conseil, un consolateur éloquent et calme, dont je ne voulais pas épuiser vite les ressources, et que je gardais pour les grandes occasions. Oh ! quel est celui de nous qui ne se rappelle avec amour les premiers ouvrages qu'il a dévorés ou savourés ! La couverture d'un bouquin poudreux, que vous retrouvez sur les rayons d'une armoire oubliée, ne vous a-t-elle jamais retracé les gracieux tableaux de vos jeunes années ? N'avez-vous pas cru voir surgir devant vous la grande prairie baignée des rouges clartés du soir, lorsque vous le lûtes pour la première fois, le vieil ormeau et la haie qui vous abritèrent, et le fossé dont le revers vous servit de lit de repos et de table de travail, tandis que la grive chantait la retraite à ses compagnes et que le pipeau du vacher se perdait dans l'éloignement ? Oh ! que la nuit tombait vite sur ces pages divines ! que le crépuscule faisait cruellement flotter les caractères sur la feuille pâlissante ! C'en est fait, les agneaux bêlent, les brebis sont arrivées à l'étable, le grillon prend possession des chaumes de la plaine. Les formes des arbres s'effacent dans le vague de l'air, comme tout à l'heure les caractères sur le livre. Il faut partir ; le chemin est pierreux, l'écluse est étroite et glissante, la côte est rude ; vous êtes couvert de sueur, mais vous aurez beau faire, vous arriverez trop tard, le souper sera commencé. C'est en vain que le vieux domestique qui vous aime aura retardé le coup de cloche autant que possible ; vous aurez l'humiliation d'entrer le dernier, et la grand'mère, inexorable sur l'étiquette, même au fond de ses terres, vous fera, d'une voix douce et triste, un reproche bien léger, bien tendre, qui vous sera plus sensible qu'un châtiment sévère.
Mais quand elle vous demandera, le soir, la confession de votre journée, et que vous aurez avoué, en rougissant, que vous vous êtes oublié à lire dans un pré, et que vous aurez été sommé de montrer le livre, après quelque hésitation et une grande crainte de le voir confisqué sans l'avoir fini, vous tirerez en tremblant de votre poche, quoi ? Estelle et Némorin ou Robinson Crusoé ! Oh ! alors la grand'mère sourit. Rassurez-vous, votre trésor vous sera rendu : mais il ne faudra pas désormais oublier l'heure du
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