George Sand et ses amis
titre, il faudrait refuser-observe-t-il-les qualités éducatrices à tant d'écrivains de génie qui commirent quelque oeuvre licencieuse. Ces qualités, madame Dudevant les possède, comme l'atteste la lettre qu'elle adressa à son fils au cours du procès et qui se termine par cette adjuration : «Mon enfant, prie Dieu pour ton père et pour moi.»
A l'audience du 26 juillet, il y eut répliques successives de Me Thiot-Varennes et de Me Michel (de Bourges). L'avocat de M. Dudevant fit un aveu qui mérite d'être retenu : «Sans doute mon client ne saurait promettre à son épouse un grand amour, au moins dans les premiers moments de la réunion. Mais le temps est un grand maître.
Plus tard M. Dudevant rendra à sa femme sa tendresse, quand elle en sera devenue digne.» Enfin l'avocat général Corbin donna ses conclusions. Il constata que si les premiers torts pouvaient, en partie, être rejetés sur madame Dudevant, si elle avait commis tout au moins un adultère moral et peut-être quelque chose de plus, en revanche son mari l'avait gravement et gratuitement outragée par ses imputations infâmes et impies. En conséquence, le ministère public tendait à l'admission de la demande en séparation de corps et à ce que Maurice fût placé sous la surveillance de son père, Solange sous celle de sa mère.
Après trois quarts d'heure de délibéré, la Cour rentra en séance et le premier président annonça que, les voix étant partagées, la cause était renvoyée au lundi 1er août, pour être plaidée de nouveau, avec adjonction de trois conseillers. Dans l'intervalle, une solution amiable prévalut. M. Dudevant se désista de son appel, en échange d'un sacrifice d'argent consenti par George Sand. Elle lui concédait une rente annuelle de 5.000 francs. Et il le reconnaît implicitement dans une lettre, dite rectificative, qu'il adressa le 17 août à la Gazette des Tribunaux. En voici le dernier paragraphe : «Les deux parties ont fait une transaction portant qu'il y aurait partage égal d'enfants et de fortune, d'après les bases du traité du 15 février 1835, avant le commencement du procès qui m'a été intenté. Ainsi je garde mon fils, et madame Dudevant sa fille.»
Les démêlés pourtant n'étaient pas clos. On se querella encore au sujet du mode d'éducation de Maurice qui, malade, fut remis aux soins de sa mère. Par contre, M. Dudevant enleva de Nohant Solange, et George Sand eut grand'peine à la reprendre.
Puis ce furent les contestations d'argent. Le baron ayant hérité de sa belle-mère, madame Dudevant demanda, par l'organe de Me Chaix-d'Est-Ange, la suppression de la pension qu'elle servait sur les revenus de l'hôtel de Narbonne. Le tribunal de la Seine, le 11 juillet 1837, refusa de statuer au fond. Et ce fut encore une transaction qui intervint. En échange de l'hôtel de Narbonne, M. Dudevant obtint 40.000 francs. Il renonçait à Maurice et à Solange, sous condition qu'on les lui conduisît une fois l'an et que leur mère supportât la moitié des frais de déplacement. C'était toujours le même homme qui, dans la liquidation, réclamait, par ministère d'avoué, quinze pots de confitures et un poêle en fer de la valeur de 1 franc 50 centimes, et qui, en 1841, revenait à la charge pour 125 francs. A son fils, il envoyait pour étrennes six pots de confitures, à partager avec sa soeur. Il devait aimer les confitures.
En 1846, les époux séparés se revirent une fois, puis, l'année suivante, lors du mariage de Solange, le baron vint à Nohant, et sa présence durant quelques heures jeta un froid. Il ne mourut qu'en 1871, après avoir intenté un procès à ses enfants. Sa vie s'était partagée entre l'ivrognerie et la cupidité.
CHAPITRE XVIII - L'ÉPOQUE DE MAUPRAT
Ni les tourments du coeur ni les tracas de justice n'avaient interrompu la production littéraire de George Sand. Elle travaillait chaque jour, ou plutôt chaque après-midi et chaque nuit, avec une régularité automatique. Le graveur Manceau, qui vécut longtemps dans son intimité et qui l'expliquait un peu comme un montreur de phénomènes, si nous en croyons le Journal des Goncourt, donnait d'elle cette définition : «C'est égal qu'on la dérange. Supposez que vous ayez un robinet ouvert chez vous, on entre, vous le fermez : c'est madame Sand.» Rien ne la pouvait distraire de sa besogne quotidienne. Bonne ou médiocre, la copie qu'elle devait fournir prenait le chemin de l'éditeur. Ainsi, en
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