George Sand et ses amis
1836-1837, deux oeuvres fort inégales : Simon et Mauprat. «Le roman de Simon, dit George Sand dans la notice, n'est pas, je crois, des mieux conduits, mais j'en avais connu les types, en plusieurs exemplaires dans la réalité.» De vrai, toute cette intrigue de l'avocat Simon, épousant Fiamma Faliero, fille de la comtesse, mais non pas du comte de Fougères, sous les auspices de maître Parquet et de sa fille Bonne, est fort ennuyeuse. Or Simon, fils de la modeste paysanne Jeanne Féline et neveu d'un abbé républicain, c'est l'image de Michel (de Bourges). George Sand, alors en pleine ferveur d'enthousiasme pour son défenseur, a peint ce portrait avec sollicitude : «Simon portait au dedans de lui-même la lèpre qui consume les âmes actives lorsque leur destinée ne répond pas à leurs facultés. Il était ambitieux. Il se sentait à l'étroit dans la vie et ne savait vers quelle issue s'envoler. Ce qu'il avait souhaité d'être ne lui semblait plus, maintenant qu'il avait mis les deux pieds sur cet échelon, qu'une conquête dérisoire hasardée sur le champ de l'infini.
Simple paysan, il avait désiré une profession éclairée ; avocat, il rêvait les succès parlementaires de la politique, sans savoir encore s'il aurait assez de talent oratoire pour défendre la propriété d'une haie ou d'un sillon... Cette maladie de l'âme est commune aujourd'hui à tous les jeunes gens qui abandonnent la position de leur famille pour en conquérir une plus élevée... Il souffrait, mais non pas comme la plupart de ceux qui se lamentent de leur impuissance ; il subissait en silence le mal des grandes âmes. Il sentait se former en lui un géant, et sa frêle jeunesse pliait sous le poids de cet autre lui-même qui grondait dans son sein.» Simon, roman démocratique, est dédié en ces termes à la comtesse d'Agoult, aristocrate de naissance, républicaine de sentiment :
«Mystérieuse amie, soyez la patronne de ce pauvre petit conte.
«Patricienne, excusez les antipathies du conteur rustique.
«Madame, ne dites à personne que vous êtes sa soeur.
«Coeur trois fois noble, descendez jusqu'à lui et rendez-le fier.
«Comtesse, soyez pardonnée.
«Etoile cachée, reconnaissez-vous à ces litanies.»
En regard de Simon, et par un effet de contraste, il faut placer la Marquise, piquante nouvelle qui retrace l'aventure d'une coquette sous le règne de Louis XV. Voici comment, à quatre-vingts ans, elle résume sa liaison, qui dura plus d'un demi-siècle, avec le vicomte de Larrieux qu'elle avait rencontré et peut-être aimé, toute jeune veuve, très consolable, de seize ans et demi :
«En trois jours, le vicomte me devint insoutenable. Eh bien ! mon cher, je n'eus jamais l'énergie de me débarrasser de lui ! Pendant soixante ans il a fait mon tourment et ma satiété. Par complaisance, par faiblesse ou par ennui, je l'ai supporté.» En réalité, la marquise n'a jamais été touchée que d'une affection, platonique au demeurant, pour le comédien Lélio. Elle le guette, elle le suit jusque dans un café borgne, et alors elle le voit, tel qu'il est sans maquillage, loin de la rampe et des lustres : «Il avait au moins trente-cinq ans ; il était jaune, flétri, usé ; il était mal mis ; il avait l'air commun ; il parlait d'une voix rauque et éteinte, donnait la main à des pleutres, avalait de l'eau-de-vie et jurait horriblement. Je ne retrouvais plus rien en lui des charmes qui m'avaient fascinée, pas même son regard si noble, si ardent et si triste. Son oeil était morne, éteint, presque stupide ; sa prononciation accentuée devenait ignoble en s'adressant au garçon de café, en parlant de jeu, de cabaret et de filles. Sa démarche était lâche, sa tournure sale, ses joues mal essuyées de fard. Ce n'était plus Hippolyte, c'était Lélio. Le temple était vide et pauvre ; l'oracle était muet ; le dieu s'était fait homme ; pas même homme, comédien.»
D'où vient donc l'émotion qu'elle ressent, l'espèce d'amour qui l'enchaîne à Lélio, dès qu'elle le voit en scène, jouant Rodrigue ou Bajazet ? C'est, note-t-elle, une passion toute intellectuelle, toute romanesque. Elle aime en lui les héros qu'il représente, les vertus qu'il fait revivre. L'imagination seule est en jeu.
Si la Marquise ressemble à un joli pastel, Mauprat est un merveilleux tableau de la vieille France féodale, un chef-d'oeuvre, ou de peu s'en faut. Les caractères y sont tracés de main de maître. Et
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