George Sand et ses amis
madame d'Agoult, je ne voudrais pas y sacrifier un jour de la vie du coeur ; mais il s'agit de ma progéniture, mes seules amours, et à laquelle je sacrifierais les sept plus belles étoiles du firmament, si je les avais.» A aucun prix, elle n'admettait qu'on pût la séparer de ses enfants. Elle invoquait la justice et la loi, mais elle était prête à entrer en révolte, si la magistrature se montrait défavorable à ses revendications. De Paris elle avait ramené Solange, et toutes ses dispositions étaient prises pour enlever Maurice, pensionnaire au collège Henri IV. Elle plaçait les droits maternels au-dessus de tous autres et déniait à la société la faculté de les annuler ou de les amoindrir. «La nature, s'écrie-t-elle, n'accepte pas de tels arrêts, et jamais on ne persuadera à une mère que ses enfants ne sont pas à elle plus qu'à leur père. Les enfants ne s'y trompent pas non plus.» Voilà en quel état d'esprit elle comparut devant la Cour de Bourges, dont l'opinion, au seuil des débats, lui était plutôt hostile. Une légende, accréditée parmi l'aristocratie et la haute bourgeoisie locales, la représentait comme une créature extravagante et sans vergogne.
Les plaidoiries occupèrent les deux audiences des 25 et 26 juillet 1836. M. Mater, premier président, dirigeait les débats dont nous trouvons un compte-rendu dans les deux grands journaux judiciaires, la Gazette des Tribunaux et le Droit. La curiosité publique était violemment surexcitée. «Depuis longtemps, dit le chroniqueur de la Gazette, on n'avait vu une foule aussi considérable assiéger les portes du Palais de Justice pour une affaire civile... L'auteur d'Indiana, de Lélia et de Jacques était assise derrière son avocat, Me Michel (de Bourges). Des Parisiens ne l'auraient peut-être pas reconnue sous ce costume de son sexe, accoutumés qu'ils sont à voir cette dame, dans les spectacles et autres lieux publics, avec des habits masculins et une redingote de velours noir, sur le collet de laquelle retombent en boucles ondoyantes les plus beaux cheveux blonds (ils étaient bruns) que l'on puisse voir. Elle est mise avec beaucoup de simplicité : robe blanche, capote blanche, collerette tombant sur un châle à fleurs.» Est-ce bien là une toilette sévère pour procès en séparation de corps ? Et le rédacteur judiciaire ajoute : «Cette dame semble n'être venue à l'audience que pour y trouver quelques éloquentes inspirations contre l'irrévocabilité des unions mal assorties.» L'avocat de l'appelant, Me Thiot- Varennes, prit d'abord la parole. Voici les principaux passages de sa plaidoirie : «M. Dudevant aimait sa femme, il s'en croyait aimé, et jusqu'en 1825 rien n'avait troublé le bonheur de cette union. Mais déjà l'humeur inquiète, le caractère aventureux de madame Dudevant présageaient que cette félicité ne serait pas durable. Elle éprouvait un ennui profond, un dégoût de toutes choses. Elle croyait que le bonheur était là où il n'était pas ; elle demandait ce bonheur à tout ; elle ne le trouvait nulle part ; car son âme ardente et mobile n'avait pu comprendre qu'on ne saurait le goûter hors de l'accomplissement de ses devoirs.
Un événement malheureux vint donner carrière aux désirs impétueux de cette imagination exaltée et jeta l'amertume dans le coeur de M. Dudevant. Madame Dudevant fit un voyage à Bordeaux. Entraînée par des penchants qu'elle ne voulut point dominer, elle conçut une passion, elle y céda. M. Dudevant apprit bientôt qu'il était trahi par celle qu'il adorait. Il sut tout et, maîtrisé par son amour et par sa tendresse conjugale, il pardonna tout. Madame Dudevant fut touchée de cet excès de générosité et d'indulgence ; elle écrivit à son mari une lettre où elle faisait une confession générale et l'aveu d'une faute qu'elle se reprochait.»
Me Thiot-Varennes dénature le caractère de cette lettre, en nous laissant croire que madame Dudevant y faisait amende honorable, prenait posture de suppliante et «rendait justice à la bonté, à la générosité, aux soins prévenants, aux égards continuels de son cher Casimir.» C'est altérer la vérité plus qu'il n'est permis, même à la barre. De vrai, il y avait entre les époux une différence de goûts et de penchants, que l'avocat du mari présente en ces termes : «Madame Dudevant aimait avec passion la poésie, les beaux-arts, les entretiens littéraires et philosophiques. M. Dudevant
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