George Sand et ses amis
qu'Alexis, hanté par la curiosité de l'inconnu, pénètre dans la bibliothèque close, réservée aux livres hérétiques : «Il 'était assis dans l'embrasure d'une longue croisée gothique, et le soleil enveloppait d'un chaud rayon sa lumineuse chevelure blonde ; il semblait lire attentivement.
Je le contemplai, immobile, pendant environ une demi-minute, puis je fis un mouvement pour m'élancer à ses pieds ; mais je me trouvai à genoux devant un fauteuil vide : la vision s'était évanouie dans le rayon solaire.» Au sortir de ces hallucinations ou de ces extases, Alexis, ne pouvant déchiffrer l'énigme de l'au delà, essaie au moins d'arracher à l'histoire des religions le secret de leurs vicissitudes. Il étudie tour à tour Abélard, Arnauld de Brescia, Pierre Valdo, tous les hétérodoxes du moyen âge, Wiclef, Jean Huss, Luther, ainsi que les philosophes de l'antiquité païenne. C'est la voie qui conduira George Sand, sur les traces de Pierre Leroux, vers les prodigieux héros de la guerre des Hussites, un Jean Ziska, un Procope le Grand, pour aboutir à la fiction de Consuelo et de la Comtesse de Rudolstadt. De cette pérégrination, et le P. Alexis et George Sand ont rapporté une sainte et légitime horreur contre cette fausse orthodoxie et cette prétendue infaillibilité qui édictent la maxime abominable : «Hors de l'Eglise, point de salut.» Et l'auteur de Spiridion, se substituant à son personnage, aboutit à une conclusion aussi lamentable que patente : «Il n'y a pas de milieu pour le catholique : il faut qu'il reste catholique ou qu'il devienne incrédule. Il faut que sa religion soit la seule vraie, ou que toutes les religions soient fausses.»
Sur ces ruines et avec les matériaux qui jonchent le sol, est-il possible d'opérer une reconstruction, d'édifier la Jérusalem nouvelle ? Dans Spiridion, George Sand a consommé la besogne de démolition. Dans les Sept Cordes de la Lyre, se dessinera en 1839 le concept de la Cité future, où l'humanité, au lieu de végéter, devra prospérer et s'épanouir en une atmosphère de lumière et de beauté.
Cette idée se formule sous les espèces d'un drame philosophique, analogue à ceux que s'est complu à concevoir Renan sur son déclin : l'Abbesse de Jouarre, Caliban, l'Eau de Jouvence, le Prêtre de Némi. Ici, l'oeuvre se divise en cinq actes, qui ont pour dénominations : la Lyre, les Cordes d'or, les Cordes d'argent, les Cordes d'acier, la Corde d'airain. Maître Albertus, docteur ès métaphysique, a hérité cette lyre de son vieil ami, le luthier Meinbaker, qui lui a légué le soin d'élever sa fille Hélène. Elle grandit parmi les disciples du philosophe, encline à cultiver la poésie et la musique qui lui sont interdites. Maître Albertus est un éducateur austère, incorruptible. A tous les acheteurs successifs il refusera de vendre la lyre merveilleuse ; il la protégera contre le perfide Méphistophélès, qui tâchera de la dérober ou de la détruire. Il honore en elle la majesté d'un symbole. «L'âme, dit-il, est une lyre dont il faut faire vibrer toutes les cordes, tantôt ensemble, tantôt une à une, suivant les règles de l'harmonie et de la mélodie ; mais, si on laisse rouiller ou détendre ces cordes à la fois délicates et puissantes, en vain l'on conservera avec soin la beauté extérieure de l'instrument, en vain l'or et l'ivoire de la lyre resteront purs et brillants ; la voix du ciel ne l'habite plus, et ce corps sans âme n'est plus qu'un meuble inutile. «C'est la même doctrine que professe Hanz, disciple favori du maître, et qui paraît être un double de Pierre Leroux. Il récite fort congrûment sa leçon de métaphysique : «L'humanité est un vaste instrument dont toutes les cordes vibrent sous un souffle providentiel, et, malgré la différence des tons, elles produisent la sublime harmonie. Beaucoup de cordes sont brisées, beaucoup sont faussées ; mais la loi de l'harmonie est telle que l'hymne éternel de la civilisation s'élève incessamment de toutes parts, et que tout tend à rétablir l'accord souvent détruit par l'orage qui passe.»
Le drame entier des Sept Cordes de la Lyre est sur ce ton métaphorique, un peu sibyllin. Tantôt, ce sont des apostrophes : «Principe éternel, âme de l'univers, ô grand esprit, ô Dieu ! toi qui resplendis dans ce firmament sublime, et qui vis dans l'infini de ces soleils et de ces mondes étincelants...» Tantôt, des sentences
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