George Sand et ses amis
d'Italie au temps des Goths. La Révolution les avait ruinés. N'importe, ils demeuraient haut perchés sur leur orgueil,
Et comme du fumier regardaient tout le monde.
Madame de Béranger avait des prétentions à la sveltesse de la taille. Il fallait deux femmes de chambre pour serrer son corset en appuyant les genoux sur la cambrure du dos. A soixante ans, elle avait le ridicule de porter une perruque blonde frisée à l'enfant, qui contrastait avec la rudesse de ses traits et la teinte bilieuse de sa peau. Après dîner, en jouant aux cartes, elle ôtait fréquemment cette perruque qui la gênait, et, en petit serre-tête noir, elle ressemblait à un vieux curé.
S'il survenait une visite, elle cherchait précipitamment sa perruque, qui était à terre ou dans sa poche, ou sur laquelle elle était assise, et elle la remettait de côté ou à l'envers, ce qui lui donnait l'aspect le plus comique.
Aurore était parfois enfant terrible. A une madame de Maleteste qui fréquentait chez sa grand'mère, elle demanda un jour comment elle s'appelait pour de bon, en ajoutant : «Mal de tête, mal à la tête, mal tête, ce n'est pas un nom. Vous devriez vous fâcher quand on vous appelle comme ça.» Et à l'abbé d'Andrezel qui portait des spencers sur ses habits, qui allait au spectacle et mangeait de la poularde le vendredi saint, Aurore posa une fois cette question embarrassante : «Si tu n'es pas curé, où donc est ta femme ? Et, si tu es curé, où donc est ta messe ?»
Il y avait également la famille de Villeneuve, alliée aux Dupin de Francueil, qui vivait de façon patriarcale dans une maison de la rue de Grammont où les quatre générations étaient réunies. A telles enseignes que la bisaïeule, madame de Courcelles, pouvait dire à madame de Guibert : «Ma fille, va-t'en dire à ta fille que la fille de sa fille crie.» C'étaient là, pour Aurore, les relations mondaines et élégantes qu'elle devait à sa grand'mère : elle en parle avec complaisance. Celles de sa mère étaient plus humbles : elle n'y fait même pas allusion. Mais, comme elle a contracté depuis 1835 des sentiments démocratiques, George Sand leur donne dans l'Histoire de ma Vie un caractère rétrospectif. A l'en croire, fillette de dix ans, elle dédaignait les gens de qualité et elle avait coutume de dire : «Je voudrais être un boeuf ou un âne ; on me laisserait marcher à ma guise et brouter comme je l'entendrais, au lieu qu'on veut faire de moi un chien savant, m'apprendre à marcher sur les pieds de derrière et à donner la patte.»
Elle atteste qu'il lui semblerait plus enviable d'être une laveuse de vaisselle qu'une vieille marquise fleurant le musc ou le benjoin. Il y a peut-être là quelque exagération systématique. A l'époque où George Sand faisait ces déclarations, elle était férue de socialisme, voire même de communisme ; car le mot de collectivisme n'était pas encore à la mode. Et elle écrivait : «L'idée communiste a beaucoup de grandeur, parce qu'elle a beaucoup de vérité.»
A Nohant et à Paris, vers 1814, Aurore entendait, tantôt sa mère faire l'éloge de l'Empereur-et madame Sand a toujours conservé des sympathies napoléoniennes,-tantôt sa grand'mère, les vieilles comtesses et Deschartres raconter sur lui les anecdotes les plus invraisemblables. Il avait battu l'impératrice, arraché la barbe du Saint-Père, craché à la figure de M. Cambacérès. Le fils de Marie-Louise était mort en venant au monde, et on lui avait substitué l'enfant d'un boulanger. Voilà de quelles billevesées se repaissaient les habitués des salons royalistes.
La première communion de son frère Hippolyte frappa l'imagination d'Aurore. La cérémonie eut lieu à la paroisse voisine de Saint-Chartier, celle de Nohant étant supprimée. Le curé de Saint-Chartier était bien le prêtre le plus étrange et le plus paysan qui se pût concevoir. Bonhomme et terre à terre, il se souciait beaucoup moins de l'Evangile que des intérêts temporels de ses ouailles et des profits de son ministère. Entre beaucoup, George Sand nous a transmis l'un de ses sermons : «Mes chers amis, voilà que je reçois un mandement de l'archevêque qui nous prescrit encore une procession. Monseigneur en parle bien à son aise ! Il a un beau carrosse pour porter sa Grandeur, et un tas de personnages pour se donner du mal à sa place ; mais moi, me voilà vieux, et ce n'est pas une petite besogne que de vous ranger en
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