George Sand et ses amis
de tous les gens de théâtre. Et Laure déclare, au dénouement : «Je haïssais l'état de comédien. Tu t'es fait comédien. J'ai reconnu que c'était le plus bel état du monde.»
-Même thèse, ou peu s'en faut, dans Narcisse : la vertueuse mademoiselle d'Estorade aime le chanteur Albany. Elle résiste à sa passion et se retire au couvent. Plus tard, quand elle épouse le brave, mais vulgaire Narcisse Pardoux, elle succombe à un mal de langueur. Elle a silencieusement adoré Albany.
Le Piccinino, qui sort de la manière habituelle de l'auteur, est un roman d'aventures ayant pour cadre la Sicile et se déroulant dans une atmosphère de conspirations. George Sand décrivait là une contrée qu'elle n'avait pas visitée : c'est le procédé dont usa Méry, puis Victor Hugo lui-même, dans les Orientales et Han d'Islande. Or, le Piccinino contient des paysages, par exemple ceux de Catane, qu'un voyageur bien informé peut attester scrupuleusement exacts.-C'est, au contraire, après un séjour à Rome que George Sand écrivit la Daniella (1857), où s'amalgament une intrigue romanesque et le guide du touriste dans «la ville éternelle de Satan.» De Guernesey Victor Hugo lui envoya de chaleureuses félicitations, en cette forme hyperbolique qui caractérise ses jugements littéraires : «La Daniella est un grand et beau livre. Je ne vous parle pas du côté politique de l'ouvrage, car les seules choses que je pourrais écrire à propos de l'Italie seraient impossibles à lire en France et empêcheraient ma lettre de vous parvenir. Quant aux grandes aspirations de liberté et de progrès, elles font invinciblement partie de votre nature, et une poésie comme la vôtre souffle toujours du côté de l'avenir. La Révolution, c'est de la lumière, et qu'êtes-vous, sinon un flambeau ?» La Rome, célébrée par tant d'écrivains et classiques et romantiques et modernes, voire même par les frères de Goncourt dans Madame Gervaisais, avait causé à George Sand une déception profonde, qui se traduit dans une lettre du 20 janvier 1861 à Ernest Périgois :
«Vous avez envie de voir les splendeurs de la papauté ? Vous verrez trois comparses mal costumés et une bande d'affreux Allemands prétendus Suisses, dont le déguisement tombe en loques et dont les pieds infectent Saint-Pierre de Rome. Pouah ! Je ne donnerais pas deux sous pour revoir la pauvre mascarade.» Dans la Daniella, George Sand nous montre un étrange artiste qui, ayant à choisir entre deux amours, préfère à l'élégante miss Médora sa camériste, bientôt devenue stiratrice, c'est-à-dire blanchisseuse. Deux fois par jour, il échange quelques regards avec cette Daniella qui, dans une salle basse des communs, travaille à une formidable lessive. Mais cet homme, suprêmement délicat avec les lavandières, a grand soin d'ajouter : «J'ai tant de respect pour elle qu'afin de ne pas l'exposer aux plaisanteries des gens de la maison, je fais semblant de ne pas la connaître.» O pudeur des tendresses subalternes, ô poésie des amours ancillaires, sous le ciel où Lamartine a rencontré Graziella !
Vers la même époque (1855), George Sand, sollicitée par les rêveries palingénésiques de Ballanche et par l'idéalisme cosmique de Jean Reynaud, imaginait de reconstituer, hors des frontières du christianisme, un mythe analogue à celui d'Adam et d'Eve. L'aventure sentimentale d'Évenor et de Leucippe s'intitula définitivement les Amours de l'âge d'or. La théorie darwinienne y est réfutée, plutôt par des impressions morales que par des arguments scientifiques. «Écoutez, dit George Sand, les grands esprits ; ils vous diront que l'homme est vraiment le fils de Dieu, tandis que toutes les créatures inférieures ne sont que son ouvrage.» Et elle cite, à l'appui de sa foi spiritualiste, ces vers d'un poète alors très jeune, Henri Brissac, dans le Banquet :
Je cherche vainement le sein
D'où découle notre origine.
Je vois l'arbre ;-mais la racine ?
Mais la souche du genre humain ?
Le singe fut-il notre ancêtre ?
Rude coup frappé sur l'orgueil !
Soit ! mais je trouve cet écueil :
Homme ou singe, qui le fit naître ?
Cette doctrine, généreuse et réconfortante, d'un au delà où régnera l'absolue justice avec ses réparations providentielles, George Sand l'a synthétisée dans une lettre du 25 mai 1866 à M. Desplanches : «Croyons quand même et disons : Je crois ! ce n'est pas
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