George Sand et ses amis
en ces termes : «Seuls et n'ayant pour témoins que ces voûtes, que ces murs, ils causent ! De quoi ? Hélas ! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent, ou plutôt ils murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, et leur souffle se confond. Cela dure une heure, et se renouvelle souvent.» Mademoiselle La Quintinie est l'éloquente et émouvante paraphrase de cette profession de foi anticléricale. George Sand montre la religion qui se matérialise, en même temps que se spiritualise la philosophie. Elle répudie les illusions ou les espérances catholiques de certains républicains de 1848, et elle prête à Moreali lui-même cet aveu : «J'ai vu Rome, et j'ai failli perdre la foi.» Le grand-père voltairien de Lucie, M. de Turdy, lance l'anathème traditionnel à l'infâme : «Maudite et trois fois maudite soit l'intervention du prêtre dans les familles !» En la place de cette devise de l'Eglise : «que tout chemin mène à Rome», George Sand demande «que tout chemin mène Rome à Dieu.» Et, à côté de Moreali, jésuite mondain de robe courte, elle place le moine grossier Onorio, vêtu de bure et souillé de poussière, exhalant une odeur de terre et d'humidité. Contre l'intrusion de l'un et de l'autre elle érige la maxime vraiment évangélique : «La parole de Jésus est l'héritage de tous.» En doctrine et en discipline, elle conclut au mariage des prêtres ou à l'abolition de la confession, dans quelques pages d'une révolte sublime : «Ah ! vous vous y entendez, s'écrie-t elle, apôtres persistants du quiétisme. Vous prélevez la fleur des âmes, vous respirez le parfum du matin, et vous nous laissez l'enveloppe épuisée de ses purs aromes. Vous appelez cela le divin amour pour vous autres !» Au dénouement, comme il sied, Emile épouse Lucie.
Il a vaincu Moreali. L'amour a triomphé du fanatisme.
Dans la Correspondance de George Sand, mais surtout de 1860 à 1870, nous retrouvons les mêmes croyances qui s'épanouissent en Mademoiselle La Quintinie. Ce sont de fougueuses déclarations contre le cléricalisme, contre «les parfums de la sacristie,» particulièrement dans ses lettres au prince Jérôme. «Monseigneur, lui écrit-elle, ne laissez pas élever votre fils par les prêtres.» Elle prêche d'exemple dans sa famille. Maurice a épousé civilement mademoiselle Lina Calamatta, et plus tard c'est à un pasteur protestant qu'ils s'adressent pour bénir leur mariage et baptiser leurs enfants. «Pas de prêtres, s'écrie George Sand le 11 mai 1862, nous ne croyons pas, nous autres, à l'Eglise catholique, nous serions hypocrites d'y aller.» Dans sa pensée, le protestantisme est une affirmation pure et simple de déisme chrétien. De là ce qu'elle appelle «les baptêmes spiritualistes» de ses petites-filles. Elle voit, avec une sorte de prescience, l'expansion menaçante des Jésuites, le réveil du parti prêtre, comme on disait sous la Restauration. Elle montre la France envahie par les couvents et «les sales ignorantins s'emparant de l'éducation, abrutissant les enfants.» Dans le naufrage de sa foi politique, il n'a surnagé que l'horreur de l'intolérance et de la superstition.
CHAPITRE XXVI - LE THEATRE
George Sand avait-elle le tempérament dramatique ? On en peut douter, encore qu'elle ait remporté au théâtre quelques succès authentiques et durables. Ses comédies étaient moins favorablement accueillies par les directeurs que ses romans par les revues et les journaux. Elle se plaignait qu'on voulût en général, et Montigny en particulier, l'obliger à remanier ses pièces. «Il y a pourtant, écrivait-elle à Maurice le 24 février 1855, une observation à faire, c'est que toutes les pièces qu'on ne m'a pas fait changer : le Champi, Claudie, Victorine, le Démon du Foyer, le Pressoir, ont eu un vrai succès, tandis que les autres sont tombées ou ont eu un court succès. Je n'ai jamais vu que les idées des autres m'aient amené le public, tandis que mes hardiesses ont passé malgré tout. Et quelles hardiesses ! Trop d'idéal, voilà mon grand vice devant les directeurs de théâtre.» Elle regimbe contre les projets d'amélioration qu'on lui suggère ou qu'on lui impose. Les exigences de la forme scénique l'impatientent, et elle s'écrie : «Je suis ce que je suis. Ma manière et mon sentiment sont à moi. Si le public des théâtres n'en veut pas, soit, il est le maître ; mais je suis le maître aussi de mes propres
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