George Sand et ses amis
Molière, a la valeur d'un feu d'artifice pour fête officielle.
Molière, tel est le titre d'un drame en cinq actes que madame Sand fit représenter, le 10 mai 1851, à la Gaîté. Le sujet, c'est la mort du grand et mélancolique écrivain, qui tant aura fait rire les contemporains et la postérité, et qui fut un mari malheureux, jaloux de son élève Baron. De ci, de là, quelques sentences égalitaires, celle-ci par exemple : «Les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules ; nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre.»
Si l'oeuvre est médiocre, la préface, dédiée à Alexandre Dumas, ne manque pas d'intérêt. George Sand y relate que l'absence d'incidents et d'action est un peu volontaire. Elle oppose le théâtre psychologique au théâtre dramatique, et préconise une forme nouvelle, destinée tout ensemble à distraire, à éduquer et à moraliser le peuple. Un de ses personnages, reprenant un thème développé dans Kean et qu'elle-même a utilisé dans plusieurs de ses romans, analyse ainsi le caractère de Molière : «Qui croirait que ce misanthrope est, sur les planches, le plus beau rieur de la troupe ? Le public ne se doute guère de l'humeur véritable du joyeux Gros-René ! le public ne sait point que le masque qui rit et grimace est souvent collé au visage du comédien par ses pleurs !»
Il y a, dans le bagage théâtral de George Sand, trois pièces champêtres, de valeur inégale : François le Champi, Claudie et le Pressoir. François le Champi est la plus réputée. Non qu'elle vaille le roman d'où elle a été extraite, et l'on peut à ce propos se demander, selon la formule employée dans la préface de Mauprat, «s'il est favorable au développement de l'art littéraire de faire deux coupes de la même idée.» Le cadre romanesque ne suffisait plus aux curiosités rurales de George Sand. Elle voulait porter à la scène les moeurs campagnardes avec la bonne odeur des guérets et le parfum des traînes berrichonnes. Elle y fut vivement incitée par son ami, l'acteur républicain Bocage, devenu directeur de l'Odéon. C'est à lui que sont dédiées les deux préfaces de François le Champi et de Claudie. La première de ces oeuvres fut représentée le 25 novembre 1849 à l'Odéon, la seconde le 11 janvier 1851 à la Porte-Saint-Martin.
Elles ont d'étroites affinités.
Si la préface de Claudie, est un simple remerciement à Bocage qui avait créé le rôle du père Rémy, celle de François le Champi a l'allure d'un manifeste dramatique. Sans affecter la solennité de Victor Hugo dans la profession de foi qui accompagna Cromwell, George Sand apporte une conception renouvelée du théâtre. Elle introduit le paysan sur les planches, en la place du berger et de la pastorale. Son paysan ne ressemble en aucune manière à celui que M. Emile Zola devait présenter quarante ans plus tard dans le milieu naturaliste de la Terre. Il a ses origines chez Jean Jacques, il procède des Confessions, des Rêveries d'un promeneur solitaire et des Lettres de la Montagne. On lui trouve un air de parenté avec Saint-Preux et Julie ; il est d'une branche rustique de la même lignée. Aussi bien George Sand, alors que ses personnages revêtent des costumes et tiennent des propos champêtres, demeure telle délibérément attachée à l'école idéaliste. Elle s'en explique sous une forme un peu sinueuse : «L'art cherchait la réalité, et ce n'est pas un mal, il l'avait trop longtemps évitée ou sacrifiée. Il a peut-être été un peu trop loin. L'art doit vouloir une vérité relative plutôt qu'une réalité absolue. En fait de bergerie, Sedaine, dans quelques scènes adorables, avait peut-être touché juste et marqué la limite. Je n'ai pas prétendu faire une tentative nouvelle ; j'ai subi comme nos bons aïeux, et pour parler comme eux, la douce ivresse de la vie rustique.» Se rattachant au Comme il vous plaira de Shakespeare et à la Symphonie pastorale de Beethoven, George Sand déclare avec sa modestie coutumière : «J'ai cherché à jouer de ce vieux luth et de ces vieux pipeaux, chauds encore des mains de tant de grands maîtres, et je n'y ai touché qu'en tremblant, car je savais bien qu'il y avait là des notes sublimes que je ne trouverais pas.»
Elle aspire à nous montrer, sous des vêtements et avec des sentiments modernes, Nausicaa tordant le linge à la fontaine et Calypso trayant les vaches. Toutefois elle se défend de
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