George Sand et ses amis
parle très discrètement à Alfred de Musset, mais surtout elle s'alarme de la santé de Maurice ; elle le croit mort, elle est comme folle toutes les nuits. Qui la rassurera ? Boucoiran n'écrit pas, Papet est peut-être absent. Elle ne veut s'adresser ni à Paultre, qui n'est pas exact, ni à Sainte-Beuve, avec qui elle n'est pas assez liée, ni à Gustave Planche, qu'elle a tenu à distance, car il est encombrant et vantard. «Les cancans, dit-elle, recommenceraient sur notre prétendue passion.» Il semblerait naturel qu'elle recourût à sa famille. Elle y répugne. «Mon frère est parfaitement indifférent à tout ce qui me concerne, mon mari voudrait bien me savoir crevée.» Aussi sa lettre n'est qu'un long épanchement de tristesse et de désespérance. Elle a l'obsession du suicide : «Quelle vie ! J'ai bien envie d'en finir, bien envie, bien envie ! Tu es bon et tu m'aimes. Pietro aussi, mais rien ne peut empêcher qu'on soit malheureux.»
La lettre suivante de George Sand, datée du 13 juin, réitère les mêmes doléances. Elle n'a pas encore reçu de Boucoiran l'argent qu'elle réclame avec impatience. «Cet excès de misère, écrit-elle à Alfred de Musset, empoisonne beaucoup ma vie et me force à de continuelles privations ou à des mortifications d'orgueil auxquelles je ne saurais m'habituer.»
Elle fait diversion à ses soucis en donnant à son correspondant des leçons sur l'amour, dont elle espère qu'il tirera profit. Voici les définitions et les métaphores qu'elle lui propose : «L'amour est un temple que bâtit celui qui aime à un objet plus ou moins digne de son culte, et ce qu'il y a de plus beau dans cela, ce n'est pas tant le dieu que l'autel. Pourquoi craindrais-tu de te risquer ? Que l'idole reste debout longtemps, ou qu'elle se brise bientôt, tu n'en auras pas moins bâti un beau temple. Ton âme l'aura habité, elle l'aura rempli d'un encens divin, et une âme comme la tienne doit produire de grandes oeuvres. Le dieu changera peut-être, le temple durera autant que toi. Ce sera un lieu de refuge sublime où tu iras retremper ton coeur à la flamme éternelle, et ce coeur sera assez riche, assez puissant pour renouveler la divinité, si la divinité déserte son piédestal.» Au milieu de cette page de noble allure, elle insinue une question qui a tout l'air, sous sa forme prudente, d'être un plaidoyer pro domo. «Crois-tu donc qu'un amour ou deux suffisent pour épuiser et flétrir une âme forte ? Je l'ai cru aussi pendant longtemps, mais je sais à présent que c'est tout le contraire. C'est un feu qui tend toujours à monter et à s'épurer.» Ainsi sa doctrine-et sa pratique-consiste à multiplier les foyers d'incendie. Elle y trouvera des points de comparaison et décidera, sur le tard, lequel fut le plus lumineux. Il faut aimer, à son école, jusqu'en l'arrière-saison, par delà l'automne et l'été de la Saint-Martin, même en hiver. «C'est peut-être, dit-elle, l'œuvre terrible, magnifique et courageuse de toute une vie. C'est une couronne d'épines qui fleurit et se couvre de roses quand les cheveux commencent à blanchir.»
Or, voici en quels termes elle encourage à la récidive, à la persévérance opiniâtre, ceux qui du premier coup n'ont pas eu la main heureuse : «Peut-être que plus on a cherché en vain, plus on devient habile à trouver ; plus on a été forcé de changer, plus on devient propre à conserver. Qui sait ?» C'est la théorie du mouvement perpétuel. C'est l'apologie de la prodigalité sentimentale. Si l'on n'a pas gagné à la loterie, il faut prendre de nouveaux billets, jusqu'à ce que l'escarcelle soit vide. Est-ce prudent ? Mais elle invoque comme autorité Jésus disant à Madeleine : «Il te sera beaucoup remis, parce que tu as beaucoup aimé.» Et elle compte sur le même traitement.
Ses conseils littéraires valent mieux que ses exhortations douteusement morales. «Aime et écris, dit-elle à Alfred de Musset, c'est ta vocation, mon ami. Monte vers Dieu sur les rayons de ton génie et envoie ta muse sur la terre raconter aux hommes les mystères de l'amour et de la foi.» Tandis qu'elle l'incite de la sorte à l'ascension des sommets qui se perdent dans la nue, elle goûte à Venise le placide et bourgeois amour de Pagello. Aucune de ses souffrances ne lui vient de l'honnête et consciencieux médecin, très appliqué à tous ses devoirs professionnels. En dehors de l'exactitude, il témoigne même de délicates
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