George Sand et ses amis
le poète ajoute : «George me mande que vous hésitez à venir ici avec elle ; il faut venir, mon ami, ou ne pas la laisser partir.» Signé : «Un de vos meilleurs amis, Alfred de Musset.» Les autres feuilles, destinées à George Sand, ont été dépecées par elle à coups de ciseaux. Il n'en subsiste, pour ainsi dire, que ce bout de conversation : «Dites-moi, monsieur, est-il-vrai que madame Sand soit une femme adorable ?»-Telle est l'honnête question qu'une belle bête m'adressait l'autre jour. La chère créature ne l'a pas répétée moins de trois fois, pour voir apparemment si je varierais mes réponses.-«Chante, mon brave coq, me disais-je tout bas, tu ne me feras pas renier, comme saint Pierre.»
Ni l'Histoire de ma Vie, ni la Correspondance ne contiennent de détails sur les circonstances qui précédèrent et déterminèrent le départ de George Sand. Le journal intime de Pagello est plus explicite. Quand elle parla de la nécessité de rejoindre ses enfants pour les vacances et qu'elle lui demanda de l'accompagner, sauf à retourner ensuite à Venise ensemble, il fut tout déconcerté et sollicita le temps de la réflexion. «Je compris du coup que j'irais en France et que j'en reviendrais sans elle ; mais je l'aimais au delà de tout, et j'aurais affronté mille désagréments plutôt que de la laisser courir seule un si long voyage.»
Il finit par accepter, en spécifiant qu'il ne se rendrait pas à Nohant, qu'il habiterait seul à Paris et compléterait dans les hôpitaux son instruction médicale. Ils tombèrent d'accord, mais ils avaient compris ce qui allait les séparer. «A partir de ce moment-là, dit Pagello, nos relations se changèrent en amitié, au moins pour elle. Moi, je voulais bien n'être qu'un ami, mais je me sentais néanmoins amoureux.» Hélas ! ses soupirs et ses appels ne seront plus guère entendus.
Le trajet s'effectua par Milan, Domo d'Ossola, le Simplon, Chamonix-où ils firent l'excursion de la Mer de Glace-et Genève. Le 29 juillet, ils étaient à Milan ; le 10 août, ils arrivaient à Paris. «A mesure que nous avancions, dit Pagello, nos relations devenaient plus circonspectes et plus froides. Je souffrais beaucoup, mais je faisais mille efforts pour le cacher. George Sand était un peu mélancolique et beaucoup plus indépendante de moi. Je voyais douloureusement en elle une actrice assez coutumière de telles farces, et le voile qui me bandait les yeux commençait à s'éclaircir.» Pagello, qui semble avoir eu l'esprit porté au sentiment plutôt qu'à la géographie, raconte qu'ils allèrent de Genève à Paris par le Dauphiné et la Champagne : on a peine à croire que la diligence ait suivi cet itinéraire fantaisiste. En descendant de voiture, George Sand, attendue par le fidèle Boucoiran, gagna son appartement du quai Malaquais, et Pagello, tout dépaysé, alla occuper, à l'hôtel d'Orléans, rue des Petits-Augustins, une chambrette du troisième étage à 1 fr. 50. Pauvre Pietro, les jours sombres commencent. A Venise, il avait supplanté Alfred de Musset. A Paris, il va être évincé par lui. Juste revanche.
Pagello n'était pas un article d'exportation. Tels ces fruits qui demandent à être consommés sur place et supportent mal le voyage.
CHAPITRE XIV - RETOUR A ALFRED DE MUSSET
A peine arrivée à Paris, George Sand se trouva dans la situation la plus fausse entre Pagello qu'elle avait amené, mais qu'elle n'aimait plus, et Alfred de Musset qui brûlait de la revoir et que peut-être elle aimait encore. Une entrevue eut lieu. Fut-elle sollicitée par elle ou par lui ? On l'ignore. Ils se rapprochèrent en vertu de cette propriété mystérieuse et attractive qui appartient à l'aimant. Que pensa Pagello de la réunion, amicale en apparence, mais vouée à devenir amoureuse, dont il devait être le témoin ? Il l'avait autorisée avec longanimité, ou plutôt il s'y était résigné. «La Sand, dit-il dans son journal intime, voulait partir avec ses deux petits enfants pour La Châtre, et moi j'avais manifesté la ferme volonté de ne pas la suivre. Elle voyait toute la singularité de ma position, tous les sacrifices que j'avais faits à mon amour : ma clientèle perdue, mes parents quittés, et moi exilé sans fortune, sans appui, sans espérance.» Ajoutez l'indifférence croissante de George Sand à son endroit, et la reprise ostensible, publique de l'ancienne passion pour Alfred de Musset. Aussi bien cette renaissance de
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