George Sand
applaudissements, aux rires de la famille et des amis. On avait passé l'hiver et le printemps à Tamaris, près Toulon, sur les bords de la Méditerranée. On revenait esseulé, un peu désorienté à Nohant. La vie accoutumée n'avait pas encore repris son cours. La maîtresse de maison ne savait encore «où fourrer sa personne, ses bouquins et ses paperasses». On lui arrangeait un cabinet de travail. Maurice s'était ennuyé à Tamaris, «de voir toujours la mer sans la franchir». Il s'était envolé en Afrique. De là il était parti sur le yacht du prince Napoléon pour Cadix et Lisbonne ; il était même question pour lui d'aller en Amérique. Les comédiens ordinaires de Nohant étaient tous en vacances, et je crois me souvenir que Balandard, la grande marionnette dont il est si souvent question dans les lettres, était en réparation.
On échappait difficilement, quand on venait à Nohant, à cette douce manie dont toute la maison était possédée.
Je n'y échappai, ce jour-là, que grâce à l'absence des principaux personnages de l'illustre théâtre. En temps ordinaire, George Sand s'y mettait tout entière, coeur et âme, avec ses doigts de fée. Elle faisait des scénarios et des costumes pour les bonshommes ; elle cherchait des effets nouveaux de travestissements et de mots ; elle s'enthousiasmait franchement de ceux qu'avait trouvés son fils Maurice. C'était pour elle comme une féerie perpétuelle dont elle s'enchantait naïvement, ne croyant pas qu'il puisse y avoir de plus grand plaisir pour les amis qu'elle invitait [Voir la lettre, si curieuse à ce point de vue, à Flaubert, du 31 décembre 1867.]. Il n'est pas douteux que sa vocation littéraire, d'ailleurs assez discutable, pour le théâtre, ne fût née et ne se fût développée au contact de ses marionnettes.
Elle et ses enfants avaient fait, durant plusieurs hivers consécutifs dans la retraite de Nohant, avec quelques amis, leur seule distraction et leur principal souci de ces représentations, qui finissaient par envahir les journées entières par le soin avec lequel on les préparait, au grand étonnement des voisins immédiats et des paysans, intrigués par une agitation sans but. Mme Sand a peint sous de vives couleurs cette vie en partie double, vie réelle et vie d'artiste mélangées, en la transfigurant sur une plus grande scène, dans une de ses plus intéressantes nouvelles. Le fond est tout à fait le même. C'est «une sorte de mystère, qui résultait naturellement du vacarme prolongé assez avant dans les nuits, au milieu de la campagne, lorsque la neige ou le brouillard enveloppaient la maison, et que les serviteurs mêmes, n'aidant ni aux changements de décor ni aux soupers, quittaient de bonne heure le logis ; le tonnerre, les coups de pistolet, les roulements de tambour, les cris du drame et la musique du ballet, tout cela avait quelque chose de fantastique, et les rares passants qui en saisirent de loin quelque chose n'hésitèrent pas à nous croire fous ou ensorcelés.»
C'est bien là le point de départ de cet ingénieux et charmant récit qui servit de thème à l'analyse de quelques idées d'art et où il n'est pas difficile de reconnaître dans le Château des Désertes une sorte de Nohant idéalisé, de même que dans Célio et dans Stella les enfants de celle qui avait retracé avec complaisance quelques-uns de ses propres traits dans la touchante image de Lucrezia Floriani. C'est ainsi que, sous sa main habile, la réalité devenait de l'art et souvent du grand art. Dans un autre roman, l'Homme de neige, un des récits les plus dramatiques de George Sand, il faut remarquer le rôle considérable que l'auteur attribue à une représentation de marionnettes. C'est un peu la scène des comédiens dans Hamlet qui nous est rendue, avec de plus petites proportions et sur un plus petit théâtre. Mais cette scène est capitale, comme dans la pièce de Shakespeare, et les plus grands intérêts, la révélation et le châtiment du crime, soupçonné non encore connu, tout est suspendu à cette représentation où Christian Waldo et l'avocat Socflé mettent tout leur esprit et toute leur âme à combiner les jeux de scène et les surprises de la conversation imaginée, d'où doit sortir le dénouement. Encore un souvenir dramatisé du Théâtre de Nohant.
Mère de famille dévouée, tout entière à la vie intérieure qu'elle crée autour d'elle, elle aimait qu'on la représentât sous cet aspect, et
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