George Sand
c'est dans ce sens qu'elle répondait aux questions de M. Louis Ulbach, qui avait l'intention de faire son portrait dans un journal. Elle l'assurait que, depuis vingt-cinq années, sa vie était bien banale. «Que voulez-vous, disait-elle, je ne puis me hausser. Je ne suis qu'une bonne femme à qui on a prêté des férocités de caractère tout à fait fantastiques.»
Elle tenait beaucoup à ce que l'on détruisît, dans l'opinion publique, la légende d'autrefois. «On m'a accusée de n'avoir pas su aimer passionnément. Il me semble que j'ai vécu de tendresse et qu'on pouvait bien s'en contenter. À présent, Dieu merci, on ne m'en demande pas davantage, et ceux qui veulent bien m'aimer, malgré le manque d'éclat de ma vie et de mon esprit, ne se plaignent pas de moi.»
Elle me disait à peu près la même chose, en termes fort simples. En abrégeant cette lettre biographique, il me semble que je reproduis quelques traits de sa conversation. Elle écrivait facilement, disait-elle, et avec plaisir, c'était sa récréation ; car la correspondance était énorme, et c'était là le travail. Si encore on n'avait à écrire qu'à ses amis ! Mais elle était assaillie. «Que de demandes touchantes ou saugrenues ! Toutes les fois que je ne peux rien, je ne réponds rien. Quelques-unes méritent que l'on essaye, même avec peu d'espoir de réussir. Il faut alors répondre qu'on essayera... J'espère, après ma mort, aller dans une planète où l'on ne saura ni lire ni écrire.» Chacun fait à sa manière l'image de son Paradis. Elle avait tant écrit pendant sa vie qu'elle voulait se reposer d'écrire toute l'éternité. Et de fait elle était l'obligeance même, mais sans banalité. Il est impossible de n'être pas touché, en parcourant cette vaste correspondance, de la bienveillance, je dirai même de la charité d'âme et d'art avec laquelle cette femme supérieure se met à la portée des talents ou fractions de talent qui l'implorent, de la franchise d'éloge qui encourage les uns, de la sincérité, non sans ménagements, destinée à décourager les autres. C'est surtout l'avocat politique qui est infatigable en elle.
Plus libre que son parti, bien que républicaine de naissance, comme elle le dit, elle ne cesse pas de demander, non pour elle, grand Dieu ! mais pour des amis ou des clients politiques, menacés ou frappes après le coup d'État, de réclamer pour qu'on les laisse en France ou qu'on les rappelle de l'exil, et auprès de qui ? auprès du prince Louis-Napoléon lui-même, d'abord président, puis empereur, qui lui accordait un crédit presque illimité d'influence. George Sand ne ménageait pas ce crédit ; sans rien céder de ses opinions personnelles, elle obtenait presque toujours ce qu'elle demandait, et cela fait le plus grand honneur à la solliciteuse et au sollicité. C'est une des rares circonstances où les droits de l'humanité l'emportaient soit sur l'orgueil des partis irréconciliables, soit sur l'orgueil du pouvoir infaillible.
George Sand ne cachait rien ou presque rien de ses affaires intimes ; elle ne modifiait cette vie si bien réglée que pour accomplir quelques excursions en France, qui lui étaient nécessaires pour chercher des cadres à ses romans ; je ne parle pas d'un établissement qu'elle fit vers la fin à Palaiseau, pour être, disait-elle, plus à la portée des théâtres de Paris, ou elle avait plusieurs pièces en préparation. Sauf cet épisode assez court, c'est à Nohant qu'elle avait destiné de mourir, et c'est là, en effet, qu'elle mourut, à l'âge de soixante-douze ans, le 8 février 1876. Elle n'avait aucune raison d'être discrète sur sa position matérielle : «Mes comptes ne sont pas embrouillés. J'ai bien gagné un million avec mon travail (en 1869) ; je n'ai pas mis un sou de côté ; j'ai tout donné, sauf vingt mille francs, que j'ai placés pour ne pas coûter trop de tisane à mes enfants si je tombe malade ; et encore ne suis-je pas bien sûre de garder ce capital ; car il se trouvera des gens qui en auront besoin, et si je me porte assez bien pour le renouveler, il faudra bien lâcher mes économies.
Gardez-moi le secret, pour que je les garde le plus possible.»
Quand il lui arrivait de faire allusion à quelque circonstance de sa vie passée, elle avait une manière de s'absoudre elle-même, sans rien dissimuler, qui ne manquait pas d'une certaine originalité de bonne humeur : «Je dois avoir de gros défauts ; je suis
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