Gondoles de verre
l’avait giflé. Donc, ce devait être à Prague que cette méthode s’était révélée très efficace, après une merveilleuse représentation de…
Pardon ? Il n’avait pas compris ce qu’elle venait de dire. S’il avait quoi ? S’il avait envie de faire quelques pas au bord de l’eau pour admirer la lune ? Il hocha la tête. Oui, bien sûr. On ne refuse pas une suggestion aussi prometteuse. Bien qu’il n’y eût pas un seul pont en vue, il lui prit le bras comme pour l’aider à passer un obstacle. Rien ne l’exigeait, mais elle ne repoussa pas sa main, ce qui était également bon signe.
Ils traversèrent un petit pont lui donnant l’occasion de serrer son bras un peu plus fort. Puis ils tournèrent à gauche et, au bout de quelques pas, s’arrêtèrent au bord du quai devant lequel s’étendait le nord de la lagune. La lune blafarde et laiteuse au-dessus de l’eau lui rappelait une tranche de bleu de Bresse, son dernier séjour à Paris, la petite serveuse du Moulin de la Galette qui avait accepté avec bonne grâce de…
Pardon ? Que voulait-elle savoir ? Si la vue de la lune le plongeait dans un état d’esprit mélancolique ? Oui, bien sûr. Parce qu’à présent il se souvenait du mari de la petite serveuse qui avait débarqué à l’improviste et… Rien que d’y penser, ça le rendait mélancolique. Il hocha la tête. Cela étant, il devait reconnaître qu’elle avait raison. La lune valait le détour. Elle agissait sur l’humeur. Et toutes ces étoiles – magnifiques ! Y en avait-il autant à Vienne ? Ici, en tout cas, elles remplissaient le ciel entier par myriades – tant de florins et de ducats que même le plus grand coffre-fort du monde n’y aurait pas suffi. Mon Dieu, songea-t-il, s’il avait ne serait-ce que quelques-unes de ces pièces en or sur son compte personnel ! Alors, il pourrait avoir des dîners d’affaires tous les soirs et n’aurait plus à supporter de sempiternelles jérémiades à propos de ses fixe-chaussettes.
Peut-être quelques mots chargés d’émotion – sur la lune, sur ce demi-bleu de Bresse – seraient-ils bienvenus. Ou un léger soupir ? À moins qu’il ne lui propose tout simplement… de l’argent ? C’était aussi une méthode possible. Bien qu’elle ne lui donnât pas l’impression d’appartenir à ce genre de… Comme il n’arrivait pas à se décider, il résolut de fumer une cigarette. Est-ce que cela la dérangerait s’il… Non, ça ne la dérangeait pas. Il lâcha donc son bras et alluma une cigarette.
En y repensant bien, c’est à ce moment-là que tout avait commencé. Il avait jeté l’allumette par terre, et avant de s’éteindre, celle-ci avait jeté une faible lueur sur un objet étincelant à ses pieds. Naturellement, il aurait pu l’ignorer. Mais il s’agissait peut-être d’une pièce en or tombée du ciel. Donc, il s’était penché – ou plutôt se serait penché si elle n’avait pas dit :
— Laissez, je vais le faire.
Hein, quoi ? Sa pièce ? Qu’il avait vue en premier ? Non, ce n’était pas correct, mais puisqu’elle insistait… Comme il était galant homme, il ne lui resta plus qu’à accepter d’un hochement de tête. Elle se pencha, attrapa son bien avec avidité, se releva, et à cet instant, il s’aperçut qu’elle ne tenait pas une pièce, mais une sorte de canif – une lame de rasoir. Et ensuite, il s’aperçut que la lame de rasoir était couverte de sang. Après, la première chose qu’il enregistra fut le bruit du rasoir sur les pavés et ses yeux écarquillés de panique. La deuxième fut le cri qui jaillit de sa gorge. Un cri strident, hystérique, si fort qu’il en eut mal aux oreilles.
Elle criait toujours lorsqu’une patrouille militaire surgit de la pénombre. Comme il venait de plaquer sa main contre sa bouche pour étouffer ses hurlements, il ne fit pas une très bonne impression sur les deux sergents. Le fait de se trouver au milieu d’une mare de sang, à côté d’un rasoir, n’arrangeait rien. Mais ce que les deux sergents découvrirent ensuite produisit une impression carrément déplorable. Quand ils lui eurent tordu le bras dans le dos, il se demanda combien il allait devoir dépenser pour étouffer cette histoire.
41
Le message de Bossi lui parvint pendant qu’il prenait le petit déjeuner dans la salle aux tapisseries en compagnie de sa mère. Le repas se composait de quelques tranches de pain dur, d’un piètre chocolat au lait et d’un assez
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