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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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gauche, gardant la droite libre pour lui prendre le bras dès qu’une situation périlleuse se présentait, par exemple sur un pont. Là, il était obligé de lui prendre le bras : un accident est si vite arrivé, elle pouvait chuter de l’autre côté du parapet et tomber dans un fossé. Il espérait traverser le plus grand nombre possible de ponts. S’ils étaient très rapprochés, il ne la lâcherait plus.
    Il l’avait découverte sur la scène du Malibran une semaine plus tôt : une mignonne soubrette, petite, brune, avec des yeux noirs comme du charbon, qui prononçait cette phrase immortelle dans le deuxième acte : « Madame la comtesse est servie. » Un tel rôle laissait peu de place au jeu de l’acteur, mais elle n’avait sans doute pas autant d’ambition. Il n’eut aucun mal à obtenir son nom. Deux jours plus tard, il avait envoyé le premier bouquet à sa loge ; il l’avait attendue à l’entrée des artistes, puis s’était éloigné après une révérence muette.
    Le bouquet qu’il avait envoyé à sa loge le lendemain était un peu plus gros. Cette fois, ils avaient échangé quelques mots à l’issue de la représentation. Elle avait laissé entendre, avec un sourire, qu’elle se réjouirait d’en recevoir un autre. Et voilà qu’à présent ils marchaient côte à côte, presque comme de vieilles connaissances, dans un coin de Cannaregio où il n’avait encore jamais mis les pieds. Il fallait dix minutes pour arriver chez elle, avait-elle raconté ; pourtant, il avait l’impression de traverser des calli et des campielli depuis au moins une demi-heure.
    Lui proposerait-elle d’entrer ? Il en doutait. Mais ce n’était pas grave. Il avait prévu de partir dans une dizaine de jours seulement et savait par expérience qu’il lui fallait trois rendez-vous pour atteindre son objectif. Il supposait donc qu’il aurait le droit de visiter l’appartement dans le courant de la semaine suivante – avec tout ce que cela supposait.
    Ce matin, à l’hôtel, une affreuse dispute avait éclaté avant le petit déjeuner. Elle lui avait demandé s’il avait l’intention de passer à table en fixe-chaussettes. Bien entendu, les fixe-chaussettes n’étaient pas le fond du problème. Ils étaient simplement – comment dit-on ? – la partie visible de l’iceberg. L’iceberg lui-même se composait de la méfiance qu’elle manifestait de manière de plus en plus ouverte depuis quelque temps. Comme si un homme dans sa position pouvait échapper aux dîners d’affaires !
    Bien entendu – il devait le reconnaître –, les dîners d’affaires s’étaient multipliés au cours des deux dernières années. Mais, à présent, il avait le sentiment qu’elle passait son temps à l’épier dans l’espoir d’obtenir une preuve de son infidélité. Ce qui serait des plus fâcheux. Parce que son beau-père, qui l’avait de toute façon toujours tenu pour un coureur de dot, n’hésiterait pas une seconde à… Mon Dieu, mieux valait ne pas y penser !
    Surtout qu’on avait tort de croire qu’il ne l’avait épousée que pour son argent. Son physique particulier avait attiré le séducteur impénitent qu’il était : son ossature solide, son visage mélancolique aux traits chevalins, son rire qui évoquait un hennissement et cette façon de mâchonner comme si elle avait la bouche pleine d’avoine. Par malheur, le charme initial s’était vite évanoui ; et désormais, d’autres défauts étaient passés au premier plan : son habitude d’inspirer bruyamment l’air entre ses incisives, ses ronflements importuns, ses cognacs après le déjeuner, ses plaintes constantes au sujet de ses fixe-chaussettes. Et depuis quelque temps, cette méfiance maladive.
    Hein, quoi ? Qu’est-ce qu’elle avait dit ? Ah, à gauche donc. Il sourit d’un air galant, puis ils tournèrent dans une autre ruelle sombre, traversèrent un campiello et parvinrent enfin sur une étroite fondamenta bordée de maisons à deux étages qui avaient l’air miteuses même dans le noir. Leurs épaules s’étaient touchées plusieurs fois – par hasard ? –, ce qui lui avait procuré une légère excitation dans le creux de l’estomac. Bien entendu, pensa-t-il, il pouvait toujours l’attirer contre lui et l’embrasser, comme il l’avait fait avec la petite danseuse du ballet national tchèque. Ou s’agissait-il de la surveillante des loges de l’Opéra de Budapest ? La rousse qui zozotait ? Non, celle-là

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