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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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nonchalance une joue dans la paume de sa main, en train d’étrangler le marchand d’art et de le voir mourir sous ses yeux. Il sourit.
    — Tout le monde est soupçonné au début d’une enquête.
    Autant qu’il pouvait en juger à la lueur de la lampe à pétrole, la cuisine était bien tenue et le carrelage gris balayé avec soin. Tron se pencha au-dessus de la table.
    — Quelle fonction remplissiez-vous au juste dans cette maison, monsieur Manin ?
    Cette fois, le jeune homme hésita une fraction de seconde.
    — J’assistais signor Kostolany, dit-il avant d’ajouter : Je rédigeais sa correspondance quand elle était en italien. Et lors des acquisitions, je veillais à ce que les tableaux achetés par lui ne souffrent pas pendant le transport.
    — Donc, vous connaissez les personnes à qui les œuvres appartenaient ?
    — Pour la plupart, oui.
    Le jeune homme releva la tête et poussa un soupir théâtral.
    — Le transport des tableaux n’était jamais une partie de plaisir. En règle générale, les vendeurs n’avaient pas le choix et en voulaient à Kostolany de profiter de leurs malheurs. Parfois, d’ailleurs, un vendeur refaisait surface et tentait de renégocier.
    Tron ouvrit l’agenda.
    — Trois noms sont inscrits pour ce soir. Une certaine signora Caserta, un signor Valmarana et enfin les initiales « P.T. ». S’agit-il d’anciens vendeurs contestataires ?
    Andrea hocha la tête.
    — Valmarana, à coup sûr ! Il avait confié un dessin à Kostolany pour qu’il l’examine. L’autre jour, il a débarqué ici en hurlant qu’on devrait tordre le cou à des vautours de son espèce.
    Tordre le cou ? Intéressant !
    — À quand remonte cette visite ?
    Le jeune homme réfléchit un bref instant.
    — Cela doit faire trois jours.
    — Savez-vous où habite ce M. Valmarana ? Est-il originaire de Venise ?
    Andrea fixa Tron sans comprendre.
    — Au palais Valmarana, je pense.
    Le commissaire ne se donna pas la peine de cacher sa surprise.
    — Vous voulez parler du comte Valmarana ?
    — Oui, il s’agissait bien d’un comte.
    Ercole Valmarana. Mon Dieu, depuis quand était-il sorti de son esprit ? Tron ferma les paupières et, soudain, tout réapparut – comme si une brèche s’était ouverte dans le cours du temps et qu’il était tombé à l’intérieur. Il reconnut l’odeur d’encens qui envahissait les salles de classe et les couloirs, la chaleur insupportable en été et le froid glacial en hiver. Ainsi que cette douleur lancinante quand la badine animée par le bras du prêtre frappait la paume des mains.
    Valmarana était un garçon malingre qui avait passé les deux dernières années du séminaire patriarcal assis juste devant lui. Mauvais en latin, mauvais en grec, mais extrêmement versé en poésie italienne – Leopardi, Foscolo. Aujourd’hui, d’après ce que Tron avait entendu dire, il était sur le point de perdre son palais. Le commissaire résolut de lui rendre visite dès le lendemain matin. Peut-être pourrait-il encore quelque chose pour lui… à supposer qu’il ne doive pas l’arrêter. Il rouvrit les yeux et s’éclaircit la gorge.
    — Savez-vous ce que signifient les initiales « P.T. » ?
    — Oui, elles désignent Troubetzkoï, le grand-prince Troubetzkoï, consul général de Russie à Venise. Comme Kostolany vendait beaucoup d’œuvres au tsar, ils étaient obligés de collaborer de temps à autre. Mais Troubetzkoï ne pouvait pas le supporter.
    — Pourquoi cela ?
    — Il aurait préféré acheter lui-même pour le compte du tsar et se remplir les poches au passage. Mais il s’était déjà fait refiler deux fois des faux. Donc, il n’organisait plus que le transport des œuvres à Saint-Pétersbourg.
    — Vous avez une idée de ce qui aurait pu le conduire ici ?
    Le jeune homme fit non de la tête.
    — Et cette Mme Caserta ?
    — Jamais entendu parler.
    Tron tourna les yeux vers la porte. À en juger par les bruits provenant du vestibule, les deux assistants du docteur Lionardo devaient être en train de charger le corps de Kostolany sur une civière. Ce qui laissait supposer que Bossi avait ses photographies dans la boîte (Tron croyait se souvenir que le sergent avait employé cette expression). Il se leva. Le jeune homme l’imita poliment, non sans balancer les hanches avec grâce.
    Il restait un point à éclaircir. Le commissaire observa l’éphèbe qui s’arrêta près de la table dans un parfait contraposto (jambe statique, jambe

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