Gondoles de verre
l’honneur de marcher à côté de notre carrosse jusqu’à Rome. Nous eûmes ainsi l’occasion de discuter.
Le commissaire supposa que le nous désignait la reine et ce capitaine. Il savait que les zouaves pontificaux représentaient une sorte de légion étrangère dont les cadets appartenaient aux familles les plus en vue d’Europe. Mais il ne voyait pas encore où le récit de Marie-Sophie devait mener.
— Cette longue conversation, poursuivit-elle, serait restée sans suite si le hasard n’avait voulu que nous nous retrouvions une semaine plus tard dans les antichambres du Vatican.
Son regard fixait un point derrière Tron, qui fut tenté de se retourner pour vérifier que personne n’était entré dans la pièce à son insu et ne marchait à pas de loup sur le tapis.
— Je me souviens encore de mes paroles précises. Je lui ai dit : « Oh ! Voilà notre bon ami de l’autre fois*. »
Marie-Sophie se tut un instant en souriant.
— Le hasard voulut aussi, reprit-elle, que Pie IX désigne ce capitaine pour me servir de cavalier d’honneur. Il était chargé de me faire découvrir Rome et de m’accompagner dans la campagne environnante.
Elle glissa une minuscule mèche de cheveux derrière son oreille et ajouta sans le regarder :
— Il s’appelle Armand de Lawayss.
44
Entre-temps, l’invitation du directeur général Leinsdorf était parvenue au palais Balbi-Valier. La princesse s’en saisit dès que son fiancé entra dans le salon. Elle avait déjà mis sa traditionnelle tenue de femme d’affaires : une robe de promenade en serge grise dont la coupe sévère était soulignée par le pince-nez accroché à son revers au bout d’une petite chaîne en or. De charmants peignes en ébène retenaient ses cheveux noués derrière la tête en une sorte de chignon qui lui dégageait la nuque de manière à la fois austère et frivole. À nouveau, Tron admira l’exploit par lequel elle réussissait à paraître en même temps féminine et glaciale.
— C’est arrivé il y a une heure, dit-elle.
Elle lui tendit un courrier officiel de l’Union bancaire de Vienne dans lequel Leinsdorf s’était contenté d’expliquer, de son écriture pointue d’inspiration militaire, qu’il se voyait contraint de quitter Venise d’urgence et la priait de bien vouloir venir au Danieli dans l’après-midi pour signer le contrat. Le commissaire sourit.
— Il l’a donc tenue !
Maria le dévisagea d’un air troublé.
— Quoi donc ?
— Sa promesse.
— Quelle promesse, Tron ? le rabroua-t-elle sur un ton si tranchant et si impatient que son fiancé se mit sans le vouloir au garde-à-vous.
— Orlov a été assassiné, expliqua-t-il, et Leinsdorf se trouvait juste à côté du cadavre au moment où il a été interpellé par deux chasseurs croates. Il n’a rien à voir avec le crime, mais comme le colonel appartenait à une armée alliée, la Kommandantur aurait pu prendre l’affaire en main et le transférer à Vérone. C’est du moins ce que je lui ai fait croire.
La princesse affichait une mine incrédule.
— Et il a avalé cette couleuvre ?
Tron sourit.
— Il a même gobé que seul le commandant de police pouvait décider de le libérer et que, selon toute probabilité, Spaur le confierait à l’armée. Quand je lui ai révélé qui j’étais…
— Tu ne le lui avais pas dit avant ?
— Il m’avait pris pour un commissaire quelconque qui s’appelait Tron par hasard. Dès que je l’eus détrompé…
— Il a tout de suite compris comment t’inciter à le libérer !
Elle sourit.
— La reine était-elle déjà au courant de la mort d’Orlov ?
— Je sors de chez elle.
— Et tu lui as montré les photographies ?
Il hocha la tête.
— Elle affirme que la victime n’est pas l’homme qui les a reçus au palais da Lezze.
— Donc, Orlov a trompé Marie-Sophie, en déduisit la princesse. Reste à savoir qui est son complice.
— Sans doute Troubetzkoï. Nous ne le saurons que par une confrontation.
— Que se passera-t-il si elle identifie le grand-prince ?
— On pourra considérer l’affaire comme close.
— Tu veux dire qu’il aurait commis tous les meurtres ?
— Oui, sûrement.
— Même celui de Constancia Potocki ?
— C’est en tout cas ce qu’affirme son mari. Parce qu’elle aurait été au courant de la vérité concernant le Titien.
— Mais Orlov ?
— Je vais lui demander sans attendre s’il a un alibi pour hier soir.
— Quelle raison
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