Gondoles de verre
qu’il avait besoin de se mettre en valeur ?
Les sourcils de la princesse s’envolèrent. Il acquiesça.
— C’est probable.
— Et toi, cela te pose un problème ?
La princesse s’autorisa une gorgée de champagne.
— Quoi donc ?
— De passer pour mon petit chien aux yeux de certains.
Il rit.
— Moi, je suis un Tron !
— Quelle façon tu as d’insister sur Tron ! Et moi, je suis quoi selon toi ?
— Je ne t’envisage pas dans une perspective… dynastique.
Elle s’appuya contre son dossier.
— Parce que les Montalcino manquent d’ancienneté ? Et parce qu’au fond de toi, tu trouves vulgaire un palais où le crépi ne s’effrite pas ? C’est pour cette raison que tu refuses de remplacer ta vieille redingote élimée par une nouvelle, n’est-ce pas ? Parce qu’un Tron n’a pas besoin de cela ?
— Tu n’as pas tout à fait tort, dit-il avant de vider sa coupe.
Craignant que les glaçons dans le seau ne fondent et que le champagne ne tiédisse, il se resservit aussitôt. Cette fois, ce fut Maria qui ne put s’empêcher de rire.
— Tu es si arrogant, Tron, que c’en est presque touchant.
Puis elle retrouva brutalement son sérieux.
— Et qu’en est-il de cette Kinsky ?
— Que veux-tu qu’il y ait ?
— Une femme est tout à fait en mesure de passer une corde au cou de quelqu’un et de serrer.
— Tu répètes mot pour mot les paroles du docteur Lionardo.
— S’il est vrai qu’elle se consume d’amour pour Potocki, dit Maria, elle avait une bonne raison pour tuer sa femme.
— C’est lui qui prétend qu’elle l’adore, répliqua Tron. Elle-même affirme le contraire. Ce serait lui qui l’aurait poursuivie de ses assiduités.
— Elle aurait pu se faire des idées, non ?
La princesse alluma une cigarette et expira un anneau de fumée au-dessus de la table. Puis elle demanda : — Est-ce que tu comprends pourquoi elle se déguise en fiancée du Seigneur ?
— Elle te répondrait sans doute qu’elle s’efforce de dissuader Potocki.
— Et l’argument te convainc ?
Tron secoua la tête.
— Non, mais la version de Potocki ne me convainc guère plus.
Il soupira.
— Le plus troublant à mes yeux, c’est que Constancia Potocki a été étranglée avec un lacet, pas avec les mains.
Elle comprit immédiatement le sens de cette remarque.
— Tu veux dire, comme Kostolany ?
Il hocha la tête.
— Oui, comme Kostolany.
— La similitude des deux crimes ne relèverait donc pas du hasard selon toi ?
— Si le père Terenzio a bien commis le crime au palais da Lezze, il s’agit d’une pure coïncidence.
— Et sinon ?
— Sinon, Troubetzkoï entre à nouveau en jeu.
Maria secoua la tête d’un air incrédule.
— L’idée que quelqu’un puisse tuer sa maîtresse juste parce qu’elle veut le quitter reste malgré tout étrange.
— Pas si le personnage dans son entier paraît étrange.
— C’est le cas ?
Tron haussa les épaules.
— Je ne le connais pas assez. Mais rien ne me surprendrait de la part d’un homme dans son genre.
Il but une gorgée de veuve-clicquot.
— Et puis, ce n’est pas tout.
— Quoi d’autre ?
— Constancia Potocki a parlé à son mari de problèmes que Troubetzkoï rencontrerait avec un tableau. Par malheur, il n’a pas pu m’en dire plus.
— Tu suggères que Constancia Potocki était au courant d’affaires qu’elle aurait mieux fait de garder pour elle ? Et qu’elle a aussi été assassinée pour cette raison ? demanda Maria d’un air songeur. Troubetzkoï savait-il que tu lui rendais visite toutes les semaines ?
— C’est vraisemblable, répondit Tron.
— Peut-être voulait-elle te prévenir ?
— Possible. Néanmoins, cette hypothèse ne suffit pas à établir une chaîne d’indices , comme dirait Bossi.
— Que vas-tu faire ?
Tout à coup, Tron fut saisi d’un bâillement et dut constater que la princesse s’était trompée. Il ne s’effondrait pas d’un seul coup après une demi-bouteille de champagne, mais plutôt après trois quarts. D’un seul coup , pensa-t-il, c’était le mot juste. Comme si quelqu’un lui avait asséné un coup violent derrière la tête – avec une bouteille de champagne. Qu’est-ce que Maria venait de lui demander ? Avait-elle même demandé quoi que ce soit ? De quoi parlaient-ils déjà ? Ah oui ! Du meurtre au palais Contarini. Elle voulait savoir comment il avait à présent l’intention de procéder.
Il dut à nouveau bâiller à s’en décrocher
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