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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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personne soupçonnée du premier meurtre était décédée au moment du deuxième.

25
    Assis sur le tabouret devant le piano Érard face auquel sa femme avait été assassinée, Potocki fixait l’emplacement où le cadavre gisait encore une demi-heure plus tôt. Les trois grands cognacs qu’il avait ingérés semblaient le tirer peu à peu de sa torpeur.
    — Donc personne ne sait ce qui s’est passé, lâcha-t-il sans cesser de tourner le liquide ambré dans son verre.
    Tron observa que la lampe à pétrole posée sur l’instrument, tout près de sa tête, se reflétait à la surface du cognac. En dehors de Bossi, assis en silence près du piano d’exercice, ils étaient seuls.
    Potocki avait rencontré le docteur Lionardo et ses deux assistants dans la cage d’escalier peu après dix heures. Il n’avait pas exprimé le vœu de voir une dernière fois son épouse, mais avait en revanche aussitôt réclamé un cognac. Que Bossi lui avait apporté en personne – en même temps que la bouteille, car la mine du mari laissait présumer qu’il ne s’en tiendrait pas à un verre. Ce n’était pas à proprement parler l’image qu’on se faisait d’un veuf inconsolable, mais le commissaire savait par expérience que les gens réagissaient souvent de manière étrange à la nouvelle d’une mort brutale. En général, l’espoir insensé d’un absurde malentendu entraînait une courte phase d’incrédulité. Puis on commençait à comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar, mais de la réalité. Et alors suivait – en fonction du tempérament – l’effondrement ou la prostration.
    Potocki était prostré. Le choc figeait toujours ses traits comme un masque de bois. Après le départ du corps, il avait gagné la salle à petits pas pressés, comme s’il avait vieilli de plusieurs années en l’espace de quelques secondes.
    — L’assassin ne peut pas avoir quitté le palais par la cage d’escalier, dit Tron. Et il n’a pas pu sortir par la terrasse non plus. Mme Kinsky m’a appris que la passerelle entre les deux bâtiments était pourrie et qu’il était périlleux de l’emprunter.
    Potocki but une gorgée de cognac, en apprécia le goût en bouche et l’avala. Puis il tendit les jambes et appuya le dos contre le clavier du piano qui produisit alors un accord incisif et disgracieux.
    — Elle a menti, déclara-t-il sans regarder le commissaire.
    — Comment ?
    Le visage du veuf forma une grimace qui se voulait peut-être un sourire cynique.
    — Cette passerelle a servi, reprit-il. Et même souvent.
    — À Mme Kinsky ?
    Il secoua la tête.
    — À Constancia.
    Il s’interrompit et croisa les bras sur la poitrine pour méditer.
    — Vous savez qui habite le palais voisin ?
    — Les Troubetzkoï, répondit Tron. Mais je ne vous suis toujours pas.
    Potocki esquissa un sourire triste.
    — C’est très simple, commissaire.
    Il fixait le piano d’exercice de sa femme près duquel Bossi avait pris place.
    — Constancia et le grand-prince, reprit-il d’une voix étonnamment distincte, se sont rencontrés à Saint-Pétersbourg il y a quatre ans. Après un concert qu’elle avait donné à Tsarskoïe Selo. Et lorsque nous nous sommes installés à Venise – comme par hasard à côté des Troubetzkoï –, ils ont renoué leur relation.
    — Renoué ? s’étonna Tron.
    Le veuf lui jeta un regard agacé.
    — Repris et intensifié.
    Le commissaire plissa le front.
    — Vous voulez dire que Mme Potocki et le grand-prince avaient une liaison ?
    Potocki garda le silence et observa un long moment le verre dans sa main. Enfin, il dit : — Il existe un appartement vide dans le grenier du palais Contarini, on peut y accéder par la terrasse.
    — Et dans cet appartement… voulut savoir Tron.
    Le sourire du mari trompé se réduisait à un frémissement des lèvres. Sa voix et ses yeux ne traduisaient aucune émotion.
    — Ma femme rendait visite au grand-prince. Je pense qu’ils avaient encore un autre nid, mais ce n’est que pure conjecture.
    — Depuis quand savez-vous que votre épouse avait une liaison avec Troubetzkoï ?
    — Depuis le début. Constancia ne s’en est jamais cachée. Peut-être est-ce ma faute.
    — Parce que vous trompiez vous-même votre épouse ?
    — Qui prétend cela ?
    — Mme Kinsky.
    — J’ai eu des maîtresses, concéda-t-il. Constancia était assez susceptible à cet égard. Mais ce ne fut jamais rien de sérieux.
    Il regarda Tron d’un air méfiant.
    —

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