Hannibal, Sous les remparts de Rome
décision provoqua la colère du Conseil des Cent Quatre, eux aussi
nommés à vie et dont la conduite n’était pas toujours irréprochable. Qui
pourrait empêcher le suffète de leur imposer un traitement identique ? De
plus, on murmurait que le fils d’Hamilcar envisageait de faire examiner les
livres de comptes du Trésor public. À ses yeux, il était inadmissible que les
citoyens les plus pauvres soient les plus fortement frappés par les impôts
doublés sous prétexte de payer aux Romains l’indemnité de guerre. Certains des
Carthaginois les plus fortunés échappaient, eux, au fisc au prix de curieuses
acrobaties juridiques. Plus grave, les contrôles faits auprès des comptables du
Trésor, placés sous bonne garde et mis dans l’impossibilité de communiquer avec
les sénateurs, révélèrent que l’on avait exonéré les commerçants des taxes
d’octroi et de douane. Or elles représentaient à elles seules le montant d’une
annuité de la somme due à Rome. Ce scandale couvait depuis au moins quatre ans
et des hérauts, dépêchés aux quatre coins de la ville, annoncèrent
l’institution de commissions d’enquête munies des pleins pouvoirs et chargées
de récupérer les sommes dues. Dans les maisons des aristocrates, les pleurs et
les cris fusaient. Les hommes accusaient leurs épouses d’être responsables, par
leur cupidité, leur avarice et leur goût du luxe, de l’affaire. Les femmes
reprochaient à leurs maris de trembler devant Hannibal comme des agneaux devant
le sacrificateur ou le boucher.
Finalement,
réunis en petit comité, les membres les plus résolus de la faction antibarcide,
décidèrent de faire appel aux Romains. Pour attiser le zèle de ceux-ci, ils
firent état des projets du suffète de conclure une alliance diplomatique et
militaire avec Philippe V de Macédoine et Antiochos III. La chose n’avait
rien d’invraisemblable. Au lendemain de la victoire de Cannae, alors qu’il
cherchait des alliés capables de lui rallier les cités grecques de Lucanie et
du Bruttium, il avait conclu un traité avec Philippe de Macédoine [82] .
Or celui-ci s’était trouvé un nouveau partenaire en la personne du chef de la
dynastie séleucide, fondée par l’un des innombrables généraux d’Alexandre le
Grand. Tous deux convoitaient l’Egypte lagide, dont le pharaon était un enfant
de cinq ans, et ses possessions qui s’étendaient des sables de la Libye à la
Cilicie, à Chypre et aux rives du Pont-Euxin. Les deux compères avaient battu
le ban et l’arrière-ban de leurs armées et étaient entrés en campagne avec des
résultats mitigés. Si Antiochos avait fait main basse sur la Syrie, sur la
Palestine et sur Tyr, cité chère aux cœurs des Carthaginois, Philippe, lui,
avait parcouru la Thrace et la Chalcédoine de Chersonèse, avant de s’emparer de
Samos, célèbre pour ses vins, et de Chios, menaçant les territoires des
Rhodiens et d’Attale de Pergame, ami de la ville aux sept collines de longue
date.
Des
envoyés de Rhodes et de Pergame furent dépêchés à Rome pour demander de l’aide
et dénoncer les agissements d’Antiochos et de Philippe contre les Grecs des
détroits et de la mer Egée. Or, par une singulière coïncidence, la délégation
arriva sur les bords du Tibre alors que les Comices centuriates, sous
l’influence de Sulpicius Galba, avaient officiellement déclaré la guerre à
Philippe. Une guerre inutile car, en dépit du traité passé avec Hannibal, le
souverain macédonien n’avait jamais menacé Rome et ses possessions.
Mais – et ce fut la conclusion qu’en tira le suffète – la
cité de Romulus, en paix à l’Occident, rêvait de s’attaquer à l’Orient, à cette
vaste contrée regorgeant de richesses et de bonnes terres à blé. Bien entendu,
l’on déguisa cette soif de rapines sous les motifs les plus nobles. Le consul
Titus Quinctius Flaminius prétendit œuvrer en faveur des libertés de la Grèce
menacées par les ambitions tyranniques des Macédoniens et des Séleucides.
Les armes
lui furent favorables. Les puissantes phalanges macédoniennes, invincibles
depuis Alexandre, furent écrasées dans les collines dites Cynocéphales car leur
forme faisait penser à des têtes de chien. Privé de ses troupes, Philippe dut
signer le traité de Tempe par lequel il s’engageait à abandonner toutes les
garnisons qu’il tenait en Grèce, y compris celles appartenant à son propre
domaine. Pour donner encore plus de
Weitere Kostenlose Bücher