Hannibal, Sous les remparts de Rome
sa vie, le suffète se rendait dans la métropole de ses ancêtres et ce
serait faire insulte à Melqart que de ne pas lui offrir un sacrifice suivi d’un
banquet auquel il conviait tous ses interlocuteurs. Il ne fallait pas perdre un
instant et le fils d’Hamilcar demanda aux capitaines de leur prêter leurs
voiles afin de dresser une immense tente destinée à les abriter du soleil.
Circonvenus par Jacob, les marins, sans attendre les ordres de leurs officiers,
firent amener les grandes pièces de toiles multicolores et les transportèrent
au campement des Hébreux. Dans l’agitation générale, nul ne prit la peine de
s’étonner de l’état déjà très avancé des préparatifs de la fête, contrastant avec
son caractère improvisé. En milieu de journée, les invités commencèrent à
arriver et, après avoir participé au sacrifice d’un agneau, se mirent à table,
faisant honneur aux mets et, surtout, aux vins. Hannibal circulait parmi eux,
détendu et souriant, ne manquant pas d’avoir un mot aimable pour chacun des
capitaines et leur proposant de porter des libations à Carthage et à Tyr. Si
ces convives vidaient d’un trait leurs coupes, lui se contentait de n’en boire
que quelques gouttes. À la fin de la journée, officiers et matelots étaient
ivres ou s’étaient dispersés sur la plage en compagnie de quelques courtisanes
recrutées par Jacob.
À la
tombée de la nuit, sûr que ses éventuels poursuivants se trouvaient dans
l’impossibilité de faire le moindre mouvement, le suffète s’éclipsa
discrètement avec Jacob et ses hommes et leva l’ancre dans la pénombre. Quand
les convives du banquet se réveillèrent tard, le lendemain matin, ils
comprirent qu’ils avaient été joués. Penauds, ils décidèrent d’observer le plus
grand silence sur ce qui s’était passé car le Conseil des Cent Quatre, s’il
l’apprenait, pourrait les châtier rudement. Ils attendirent près d’une semaine
pour envoyer un émissaire à Hadrim où les autorités les questionnèrent
longuement, cherchant à savoir si un navire avec à son bord Hannibal avait fait
escale à Cercina. Ils répondirent qu’ils avaient aperçu au loin, en haute mer,
une quinquérème portant les insignes de Carthage, ce qui ne les avait pas
inquiétés. C’était peut-être un navire de surveillance chargé de poursuivre des
pirates, nombreux dans ses parages. Les magistrats d’Hadrim les congédièrent,
excédés par leur stupidité. Hannibal, lui, voguait sur la grande mer et se
trouvait déjà en vue de Tyr.
La ville
paraissait minuscule par rapport à Carthage bien que son port connût une
activité intense. En proie à une intense émotion, le fils d’Hamilcar se rendit
au temple de Melqart pour remercier cette divinité de l’avoir, une fois de
plus, protégé. Il avait demandé à Jacob de l’accompagner mais ce dernier avait
décliné l’offre, arguant que la loi de son peuple lui interdisait formellement
de participer à des rites étrangers. Les deux hommes se retrouvèrent un peu
plus tard pour se faire leurs adieux.
— Jacob,
nos chemins se séparent ici et je ne sais pas s’ils se croiseront à nouveau un
jour. Je te souhaite bonne route jusqu’à Jérusalem et je te remets le
sauf-conduit que les autorités de Tyr, à ma demande, m’ont accordé pour toi et
tes compagnons. Que vas-tu faire ?
— Apporter
à notre temple les offrandes de ma communauté et prier au milieu des miens.
Puis je repartirai, dès que l’occasion s’en présentera, pour l’île des
Lotophages afin de perpétuer, sous d’autres cieux, nos traditions. Et toi,
quels sont tes plans si je ne suis pas trop indiscret ?
— Me
rendre à la cour d’Antiochos et lui offrir mes services contre les Romains. Je
vais reprendre la lutte pour redonner à Carthage, malgré la volonté de ses
dirigeants, la place qui doit être la sienne.
— Seras-tu
bien accueilli ?
— Je
l’espère. Bien sûr, Antiochos est entouré de conseillers intrigants et il
hésitera longtemps avant de me faire connaître sa décision. Mais sa réponse
sera finalement positive. Je sais que Rome veut se débarrasser de lui comme
elle a tout fait pour réduire la puissance de ma ville. Tôt ou tard, je lui
deviendrai indispensable.
— Puissent
tes vœux se réaliser ! Sache que je ne t’oublierai jamais et que l’avenir
de nos deux peuples demeurera scellé pour l’éternité.
Les deux
hommes s’étreignirent longuement, sans un mot,
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