Hannibal, Sous les remparts de Rome
ton vindicatif
que tu emploies ne contribuera pas à faire grossir ses effectifs.
Les
craintes du Romain arrangeaient bien Hannibal. Son frère partit chargé
d’instructions secrètes pour les dirigeants du parti barcide, les enjoignant de
faire traîner en longueur les discussions et de réduire au silence Hannon le
grand, le principal adversaire des Barca, et ses partisans. Durant le voyage,
qui dura plusieurs jours, Magon se montra particulièrement prévenant envers ses
compagnons de route, leur soustrayant quelques informations de taille.
Contrairement à ce qu’ils laissaient entendre, ils ne disposaient pas des
pouvoirs nécessaires pour traiter avec Carthage. Ils étaient chargés d’une
simple mission d’information et le deuxième fils d’Hamilcar se promit d’utiliser
ce renseignement pour les discréditer si le besoin s’en faisait sentir.
Dès leur
arrivée dans la cité d’Elissa, les deux Romains furent conduits devant les
sénateurs auxquels ils exposèrent leur point de vue, ajoutant qu’ils exigeaient
le respect des traités signés et la livraison d’Hannibal et de Maharbal. Comme
prévu, Hannon fut le seul à abonder en leur sens. Toujours aussi combatif, il
se lança dans une violente diatribe contre le fils aîné d’Hamilcar :
— Je
vous l’avais naguère prédit : le père d’Hannibal nous poursuit de sa
vindicte depuis le séjour des morts. Il en sera ainsi tant qu’il restera en vie
un seul membre de cette funeste lignée. Tant qu’il restera à Carthage un homme
issu de cette famille, les traités solennels signés avec Rome ne seront pas
respectés. Ce garçon est un soldat dans l’âme et il est depuis trop longtemps
éloigné de notre cité pour se souvenir des plaisirs d’une vie simple et
pacifique. Il lui tarde d’agrandir son autorité sur nous et le seul moyen qu’il
a d’y parvenir est de provoquer guerre sur guerre. Il ne se sent bien qu’au
milieu de ses armées et de ses nuées de mercenaires dont la solde ruine notre
budget. Jadis, je l’avais comparé à une étincelle. Aujourd’hui, elle s’est
transformée en torche qui sème la terreur et la désolation sur son passage. Vos
armées, nos armées, assiègent Sagonte sans en avoir reçu mandat de notre part.
Je crois pouvoir prédire ce qui se passera. Bientôt, des soldats établiront
leur camp sous les remparts de notre cité. Ce ne seront pas les troupes
couvertes de gloire d’Hannibal mais les légions romaines venues réclamer
justice. Vous aurez beau implorer Tank et Baal Hammon, l’expérience nous a
appris que leurs dieux sont plus puissants que les nôtres.
— Mais,
l’interrompit Itherbaal, l’un des chefs du parti barcide, tu oublies
qu’Hannibal se bat pour nos droits en Ibérie et pour faire respecter le traité
passé verbalement avec les Romains, qui place sous notre protection la région
au sud de l’Ebre.
— La
passion t’emporte et tu t’abstiens de mesurer les conséquences lointaines de
son geste. Tu t’imagines que ce gringalet se bat contre nos ennemis, du moins
ceux que tu désignes comme tels. Mais, en fait, c’est contre Carthage
qu’Hannibal dresse ses tours de siège et ses balistes. Ce sont les murs de
Carthage qu’il bat avec le bélier poussé par ses hommes. Les ruines de
Sagonte – puissé-je être mauvais
prophète ! – retomberont bientôt sur nos têtes et la guerre
commencée avec cette ville, il nous faudra la poursuivre contre Rome.
— Admets,
Hannon, que ces Romains ne manquent pas d’impudence. Ils poussent l’insolence
jusqu’à nous demander de leur livrer, enchaînés, Hannibal et Maharbal. Bientôt,
ce sera ta propre tête qu’ils réclameront si nous leur donnons satisfaction et
tu seras alors bien embarrassé pour exiger que nous fassions une exception en
ta faveur.
— Tu
touches là un point sensible. Je suis mauvais juge en la matière et nul d’entre
vous ne peut ignorer la haine féroce que je portais à son père, Hamilcar. Je le
dis au risque de faire scandale : je me suis réjoui de sa mort car, s’il
avait poursuivi son œuvre dévastatrice en Ibérie, Rome nous aurait déjà déclaré
la guerre et infligé, sur terre comme sur mer, de cuisantes défaites. Un temps,
j’ai cru qu’Hasdrubal, son gendre, se montrerait plus sage. En fait, l’élève a
dépassé le maître. Mais il se pourrait bien que nous en venions à le regretter
car Hannibal est cent fois plus nuisible qu’eux. Je l’exècre et vous
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