Hannibal, Sous les remparts de Rome
nerfs.
C’était un incident sans importance. Le jeune prince numide était à un âge où
l’on préfère aimer et plaire plutôt qu’intriguer et haïr. Aussi ne ménagea-t-il
pas sa peine pour le traiter le mieux possible dans sa résidence et le
convaincre qu’à ses yeux Massyles et Masaesyles n’étaient pas seulement des
alliés mais aussi des égaux que Carthage pourrait dans un proche avenir compter
au nombre de ses citoyens.
Enfin, le
grand jour arriva. Un matin, le fils d’Hamilcar reçut un envoyé du Conseil des
Cent Quatre. Le départ était fixé à la prochaine lune, en plein milieu de la
belle saison. Une agitation fébrile s’empara de la demeure où les esclaves
s’affairaient pour préparer les bagages, de lourds coffres de bois recouverts
de cuir. Dans les écuries, les palefreniers avaient sélectionné les meilleures
montures et vérifié soigneusement les harnais et les selles. A la veille de
s’embarquer, Hannibal passa la journée à arpenter de long en large les rues de
la ville et à se mêler incognito aux habitants dans les tavernes et les
marchés. Il humait toutes les odeurs et s’emplissait des bruits de la cité,
sachant qu’il ne la reverrait peut-être jamais plus. Peu avant la tombée de la
nuit, ses frères, accompagnés de Sosylos, de Syphax et de Masinissa, le
retrouvèrent dans le sanctuaire de Baal Hammon devant la stèle votive érigée
par les Barca. Ils n’échangèrent aucune parole, chacun méditant et priant. De
là, ils gagnèrent le cothôn et s’embarquèrent à bord d’une quinquérème à la
proue richement ornée et aux flancs peints de couleurs vives.
Durant
tout le voyage, les jeunes gens ne se montrèrent guère. Ils demeuraient
confinés dans leurs cabines et ne se retrouvaient que pour manger. Les membres
de l’équipage remarquèrent qu’ils étaient peu loquaces durant leurs agapes.
Chacun d’entre eux semblait plongé dans de mystérieuses pensées, ruminant
peut-être le sort qui l’attendait dans une contrée dont il ignorait tout et qui
serait pour de longues années son foyer. Les vents leur ayant été favorables,
ils atteignirent Rosh Laban après une semaine de navigation. Sur le quai, un
officier carthaginois les accueillit chaleureusement :
— Bienvenue
à tous. Je suis Maharbal, chef de la cavalerie. Hasdrubal me prie d’excuser son
absence et de vous conduire auprès de lui.
— J’ai
hâte de revoir Rosh Laban et le vieux palais édifié par mon père, fit Hannibal.
— Je
suis désolé pour toi mais je dois vous conduire jusqu’à la nouvelle capitale
dont il surveille la construction, Carthagène, la nouvelle Carthage, bâtie en
l’honneur de ton défunt père. Sur ces rivages, rien n’égalera sa splendeur.
Elle mérite bien, crois-moi, son nom et vous vous y sentirez comme à l’ombre de
la colline de Byrsa.
Maharbal
s’était un peu avancé. Quand ils arrivèrent à Carthagène, la cité sortait à
peine de terre. On voyait çà et là quelques maisons déjà achevées et l’on
distinguait le tracé rectiligne des rues dont certaines étaient très larges. À
l’extérieur de l’enceinte qui commençait à dresser ses murs faits de solides
mœllons de pierre arrachés à la montagne voisine, Hasdrubal avait dressé son
camp. Dès qu’il aperçut le petit groupe des voyageurs, il courut à leur
rencontre, la mine réjouie :
— Vous
voilà enfin ! Désormais, la famille Barca est réunie. C’était le rêve que
caressait mon beau-père et je suis fier d’avoir pu le réaliser. Par Tanit notre
mère, vous avez bien changé et je suis incapable de reconnaître l’un d’entre
vous.
— Je
suis Hannibal et voici Magon et Hasdrubal le jeune, mes frères, ainsi que
Sosylos, mon précepteur, Syphax et Masinissa, nos amis numides. Toi-même,
j’aurais eu du mal à deviner que tu es mon beau-frère ou plutôt que tu l’étais.
Nous avons appris la mort de ton épouse Salammbô, notre sœur. Mais sa
disparition ne change rien à ta situation. Tu es le chef de notre clan et nous sommes
là pour apprendre de toi l’art de la guerre.
— Mon
fils, si tu permets que je t’appelle ainsi, tes paroles mettent du baume sur
mon cœur. Maharbal vous montrera vos quartiers. Demain matin, nous nous
retrouverons et je vous assignerai vos tâches respectives. Prenez du repos car
vous aurez beaucoup à faire.
Dès le
petit jour, les jeunes gens se présentèrent devant Hasdrubal entouré de ses
principaux
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