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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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finement
sculptés. Je puis maintenant l’avouer, il me fallut attendre plusieurs mois
avant de me résoudre à dormir sur cette couche trop luxueuse. La nuit, dès que
ce maudit Baalnawas avait tourné le dos, je me couchais à même le sol ou, si le
temps s’y prêtait, j’allais dormir dans un recoin du jardin, prenant soin de
regagner la maison dès le lever du soleil.
    Le soir
même de mon arrivée, je fus présenté à mon père, Mutumbaal, un homme corpulent,
à la voix cassante et au regard perçant. Il n’eut pas le moindre geste de
tendresse envers moi mais me dévisagea des pieds à la tête comme un maquignon
examinant une bête avant de l’acheter.
    — Ainsi
donc, tu es Hasdrubal, mon fils. Sache que j’ai beaucoup aimé ta mère,
Germelqart, et que je la pleure encore. Je ne me suis point remarié par fidélité
à sa mémoire et j’espère que tu sauras lui faire honneur par ta conduite. Je
n’ai pu m’occuper de toi jusqu’à présent car mes fonctions au sein du Conseil
des Cent Quatre me laissent peu de loisirs. Tu as grandi dans notre propriété
du Beau Promontoire, livré à toi-même. Aujourd’hui, tu entres dans ta septième
année et il est bon que tu reçoives l’éducation réservée aux garçons de ton
rang. Voilà pourquoi je t’ai fait revenir à Carthage. Dès demain, tu seras
conduit à l’école située dans l’enceinte du temple d’Eshmoun pour y apprendre à
lire et à écrire et pour que nos prêtres t’enseignent l’histoire de notre ville
et les mystères sacrés de notre religion. Je ne te demande rien si ce n’est
d’être le meilleur élève de ta classe. Sache que, dans le cas contraire, je te
ferai fouetter jusqu’au sang par le chef de mes esclaves. Nous n’aurons guère
l’occasion de nous voir mais ne t’imagine pas que cela signifie que je me
désintéresse de toi, tout au contraire. J’entends que tu deviennes l’un des
principaux personnages de cette cité. Aussi, prends garde de ne pas me
décevoir. Ai-je été assez clair ?
    — Oui,
père, m’entendis-je murmurer d’un ton craintif avant de regagner ma chambre et
d’éclater en sanglots. Se pouvait-il que cet homme froid et insensible soit l’auteur
de mes jours ? Que lui avais-je fait pour qu’il me manifeste, lors de
notre première rencontre, pareille froideur ? Je n’eus jamais de réponse à
ces questions et, aujourd’hui encore, je crois que cela était préférable car
l’incompréhension entre mon père et moi a dicté tous les actes de ma vie. C’est
grâce à son indifférence cyniquement affichée que j’ai dû constamment me battre
pour me montrer digne de mon rang et pour lui infliger le plus cinglant des
camouflets. S’il m’avait aimé, je serais devenu une mauviette et j’aurais
gaspillé mon existence dans la recherche de vains plaisirs comme la plupart des
rejetons des grandes familles aristocratiques de Carthage, tout juste capables
de se vautrer dans l’oisiveté la plus répugnante.
    J’ai haï
l’école située dans le temple d’Eshmoun, érigé sur la colline sacrée de Byrsa.
Hormis Himilkat, le grand prêtre, tous les desservants de ce sanctuaire étaient
des hypocrites et des ambitieux, soucieux avant tout d’exploiter la crédulité
des fidèles. Je le dis d’autant plus que mes ennemis m’ont fait une réputation
injustifiée d’impiété sous prétexte que j’ai toujours obstinément refusé de
participer aux cérémonies du culte et d’observer certains interdits. Ne leur en
déplaise, je suis l’être le plus pieux au monde et je révère sincèrement aussi
bien le seigneur Baal Hammon que notre mère Tanit. Je les invoque chaque fois
que le doute me saisit et je trouve un grand réconfort à leur adresser mes
prières. Mais je suis incapable de me plier aux simagrées des prêtres.
    Dans mon
enfance, j’ai pu constater que ceux-ci se moquaient ouvertement des croyances
qu’ils nous enseignaient et qu’ils nous débitaient d’un ton monocorde,
s’assurant que nous étions capables de réciter par cœur leurs leçons. Ils se
gardaient bien de répondre à nos questions et ils décourageaient par de
stupides plaisanteries la curiosité légitime de certains d’entre nous. Ce sont
peut-être eux les principaux responsables de notre défaite. Pourquoi nos dieux
seraient-ils venus au secours d’une ville dont les prêtres les tenaient en
mépris ?
    Heureusement,
Himilkat, le grand prêtre d’Eshmoun, m’avait pris en amitié.

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