Hasdrubal, les bûchers de Mégara
j’eus
treize ans, il me confia à l’un de ses amis, un Grec nommé Aristée, autrefois
précepteur dans une famille aristocratique. Il m’apprit la langue d’Homère
ainsi que des rudiments de latin, non sans mal. Après quelques années de
relative sagesse, j’étais repris par mes vieux démons et mon adolescence fut
plutôt dissipée. Il m’arrivait souvent de rester plus d’une semaine sans me
présenter au temple d’Eshmoun. Le matin, je quittais notre palais de Mégara et
je passais ma journée en compagnie d’autres adolescents dans les tavernes
autour du port, écoutant avec passion les récits des marins et des marchands.
Sachant qui j’étais, les aubergistes me faisaient crédit et je pouvais régaler
mes invités dont l’éloquence décuplait au fur et à mesure qu’ils vidaient leurs
coupes de vin. Grâce à eux, j’appris les coutumes des peuples qui vivaient de
l’autre côté de la grande mer ainsi que les sordides rivalités qui les
opposaient les uns aux autres. Himilkat et Aristée ne me faisaient aucun
reproche. Ils me demandaient simplement de leur raconter ce que j’avais appris
et ils m’aidaient à distinguer le vrai du faux.
C’est dans
ces conditions qu’à l’âge de quinze ans je fis la connaissance d’un Romain,
Marcus Lucius Attilius, un commerçant âgé d’une trentaine d’années. Quand son
voisin de tablée me le présenta, j’eus un mouvement de recul qu’il perçut
immédiatement. Un Romain ! C’était pour nous l’ennemi par excellence, le
représentant de cette cité maudite qui nous avait enlevé toutes nos possessions
en dehors de l’Afrique et nous avait contraints à lui verser un lourd tribut
après l’humiliante défaite de nos troupes à Zama. L’homme n’avait pas été dupe
de ma réaction. Il préféra en rire :
— Ne
me dis pas qu’un jeune Punique a peur d’un vieillard ! Par Jupiter, nos
cités vivent maintenant en paix et j’avoue franchement préférer Carthage à ma
ville natale. Ici, on respire la joie et la douceur de vivre alors qu’à l’ombre
du Capitole nos sénateurs s’évertuent à faire preuve d’austérité pour complaire
à leur maître à penser, ce sinistre grincheux de Marcus Porcius Caton qui se
nourrit d’un mauvais brouet et d’eau claire. Bois une coupe de vin de Sicile à
ma santé et soyons amis ! Que fais-tu dans cette taverne ?
Cherches-tu un engagement comme marin à bord d’une trirème ?
— Je
suis trop jeune pour cela. Disons que j’étudie.
— Tu
fais un drôle de savant. Où est ton précepteur ? Il doit avoir les idées
larges ou la gorge fâcheusement sèche pour te permettre de fréquenter ces lieux
de perdition.
— Admettons
que je suis à la fois l’élève et le maître. Et je ne considère pas cet endroit
comme un lieu de perdition ainsi que tu le prétends. On y apprend une foule de
choses intéressantes et je suis sûr que le récit de tes aventures me
permettrait de mieux comprendre ton peuple et la manière dont il se comporte
avec nous.
— Je
ne vois pas ce qu’un obscur négociant pourrait t’apporter. Je vends et j’achète
de l’huile et du vin, accessoirement des esclaves, des tissus et du parfum. Je
ne me préoccupe que d’une chose : amasser des pièces d’or et d’argent pour
faire vivre ma famille et entretenir mes maîtresses. J’en ai une ici à Carthage
et cette diablesse me coûte plutôt cher. Mais je suis littéralement entiché
d’elle car elle a la peau brune et douce et elle est experte dans l’art des
caresses. Cela me change des matrones romaines qui font l’amour comme si on les
conduisait au sacrifice. S’il ne tenait qu’à moi, je deviendrais volontiers
citoyen de votre ville. D’ailleurs, puisque tu n’as rien à faire,
accompagne-moi chez ma bien-aimée. Il se pourrait fort bien que la chance te
sourie à toi aussi.
J’eus vite
fait de comprendre ses derniers mots. Sa maîtresse était la tenancière d’un
lupanar fréquenté par les marins. En me voyant entrer, les filles poussèrent
des cris de joie. Un bel adolescent les changeait des rustres et des lourdauds
qui constituaient l’essentiel de leur clientèle. Elles se disputèrent pour
savoir à laquelle reviendrait l’honneur de m’initier aux plaisirs de l’amour.
Tremblant de peur, je choisis une jeune Numide qui m’entraîna derrière un
rideau. Je me suis jeté littéralement sur elle, la renversant sur une couche
faite de vieux chiffons. Ma bouche
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