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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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Introduction
    Depuis
quelques jours, j’ai commencé à dicter mes Mémoires à Magon, mon fidèle aide de
camp, qui m’a suivi dans mon exil. J’ai longtemps hésité avant de lui infliger
un travail aussi fastidieux et indigne de son rang. Il manie mieux le glaive
que le calame et j’aurais pu faire appel à un scribe si l’affaire ne
nécessitait pas le plus grand secret. Pourquoi cette décision ? Je suis
toujours en bonne santé même s’il m’arrive de ressentir les premières atteintes
de la vieillesse. Il me reste encore de longues années à vivre. Pourtant, je
redoute qu’un simple accident ou une maladie imprévue ne m’empêche de mener à
bien ma tâche.
    Il me tarde
en effet de répondre aux calomnies qui courent sur mon compte et dont Polybe,
ce maudit Grec que Publius Cornélius Scipion Aemilianus honore de son amitié,
est le premier responsable. Par l’un de ses esclaves, j’ai appris qu’il
écrivait une Histoire où il traitera, entre autres, des guerres qui opposèrent
Rome à Carthage. Pour m’être entretenu plusieurs fois avec lui, je ne me fais
aucune illusion. Il ne manquera pas de me décocher quelques traits acérés et de
se répandre en viles flatteries sur son protecteur. Autant prendre mes
précautions et me consacrer au projet que je mûris depuis longtemps en moi. Si
je n’avais peur de sombrer dans le ridicule, je dirais qu’il s’agit tout
simplement d’une question de vie ou de mort.
    Polybe ne
le saura jamais – c’est dommage car cela lui rabattrait son
caquet – mais celui qui m’a définitivement convaincu de confier à la
postérité mes propres souvenirs est un vulgaire chenapan, âgé d’une dizaine
d’années, le fils de mes voisins. Chaque soir, quand je regagne en titubant ma
demeure sise près du Forum après avoir bu plusieurs coupes de vin de Sicile à
la taverne du Dauphin agile, il m’attend avec ses compagnons de jeux pour
m’agonir d’insultes. J’ai parfois encore assez de lucidité pour entendre leurs
moqueries : « Regardez l’ivrogne carthaginois. Il a fière
allure ! Il est ivre comme Bacchus car c’est le seul moyen qu’il a trouvé
pour oublier sa lâcheté et ses fautes. »
    Jamais je
ne me suis plaint de lui à son père, un ancien centurion dont le corps porte la
trace des coups reçus au combat. Le Sénat l’a logé à côté de chez moi moins
pour m’espionner que pour veiller à ma sécurité. Trop de Romains et, hélas, je
dois l’admettre, certains de mes compatriotes rêvent de me tuer parce qu’ils me
croient responsable de la mort de leurs parents. Ce brave homme me tient lieu
de cerbère et, plus d’une fois, il a déjoué des attentats contre ma personne.
Si je lui racontais les agissements de son rejeton, sa première réaction serait
de lui infliger une bonne correction de peur que je ne me plaigne aux autorités
du traitement qui m’est réservé. Je m’y refuse. Je ne suis point le seul
ivrogne à être la risée de ces enfants qui ont la cruauté de leur âge.
Toutefois, l’intempérance de ces hommes est moins criminelle que la mienne. Ce
sont de pauvres hères qui ont toujours connu la misère et la solitude et
auxquels le vin apporte un provisoire apaisement. Moi, je suis d’une autre
trempe. Même vautré dans mes vomissures, je ne puis oublier que je suis
Hasdrubal le boétharque, ancien généralissime des armées carthaginoises, le
soldat qui préféra se rendre à ses adversaires plutôt que de périr avec les
siens dans l’incendie de sa ville natale.
    Les
sarcasmes de ces gamins m’ont ouvert les yeux sur l’ampleur de ma déchéance.
Les Fils de la Louve se sont bien moqués de moi. En me livrant à eux, je
n’avais pas envie de sauver ma vie mais d’atténuer les souffrances de mes
concitoyens et d’éviter à la plupart d’entre eux d’être massacrés ou réduits en
esclavage. Je voulais juste négocier une reddition honorable sans être dupe de
ce qui m’attendait. À Rome, les généraux auxquels le Sénat décerne les honneurs
du triomphe ont coutume de faire égorger leurs plus illustres prisonniers après
les avoir contraints à défiler derrière leur char jusqu’au temple de Jupiter
Capitolin. Le jour de la cérémonie organisée pour célébrer l’éclatant succès de
Publius Cornélius Scipion Aemilianus, je m’étais préparé à mourir sous le
glaive du bourreau comme ce fut le cas pour nombre de mes compagnons
d’infortune. Je n’ai pas eu cette chance.

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