Haute-savane
paraissent être… ou à peu près. Ici, les choses ne sont pas toujours fidèles à leurs apparences… et tel notable, riche et considéré, par exemple, peut s’y trouver plus misérablement asservi que n’importe quel esclave…
Il sabla ses écritures, trempa de nouveau la longue plume d’oie dans l’encre mais, au lieu de l’offrir à Tournemine, la garda un instant dans l’encrier. Il semblait livrer une sorte de combat intérieur contre les paroles qu’il brûlait de prononcer.
— … Écoutez, monsieur de Tournemine, vous me semblez un homme de bien et je ne peux vous reprocher la brutalité de vos réactions en face de ce qui vous est arrivé.
— Vous êtes bien bon.
— Je vous en prie, laissez-moi parler. C’est déjà assez difficile mais je voudrais que vous entendiez raison. Vous êtes très légitimement propriétaire de « Haute-Savane »… pourtant, je vous supplie d’y renoncer.
— Comment ? Vous voulez que…
— Que vous acceptiez une proposition de vente convenable. Je vous rachète la plantation au nom de Simon Legros. Ce serait, croyez-moi, infiniment plus sage. Vous êtes jeune, vous êtes noble, vous êtes riche, vous êtes beau. Vous avez une jeune femme dont on dit déjà qu’elle est de la plus rare beauté. N’allez pas perdre tout cela dans le creuset d’enfer que représente cette plantation, la plus belle de l’île peut-être, celle où il ferait sans doute très bon vivre si elle n’était au pouvoir…
— … d’un homme qu’il est grand temps d’éliminer. Et c’est ce que je vais faire et sans perdre un instant, croyez-moi.
— Vous ne m’avez pas laissé achever ma phrase. J’allais dire qui est au pouvoir des dieux vaudous et sur laquelle pèse la pire malédiction. Le jeune Ferronnet a agi très sagement en fuyant après la mort de ses parents. Damballa, le dieu-serpent, et ses horribles maléfices règnent là-haut et Simon Legros est, par personne interposée, son dévoué serviteur.
Sa voix, feutrée de terreur, était à peine audible, pourtant, non seulement il ne réussit pas à communiquer sa peur à Tournemine mais, soudain, la pièce s’emplit d’un énorme fou rire qui jeta Gilles assis sur une chaise, littéralement plié en deux.
— Un dieu-serpent, à présent ! s’écria-t-il quand il réussit enfin à calmer son hilarité. Il ne nous manquait plus que ça ! Et, naturellement, il sue le maléfice comme un toit percé un jour de pluie. Non mais, pour qui me prenez-vous ?
Sa gaieté venait de faire place à une froide colère. Empoignant le notaire par sa chemise, il l’obligea à se lever et se mit à le secouer avec tant d’énergie que ladite chemise n’y résista pas.
— … Je commence à en avoir assez de toutes ces fariboles. Ma parole, c’est une conspiration ! J’admets que mon arrivée ne fasse plaisir à personne ici et à votre Legros moins qu’à tout autre, mais, sachez-le, une bonne fois pour toutes, je ne suis pas un gamin qu’on fait fuir avec des histoires de sorcières et de revenants. Vous avez compris ? Alors parlons choses sérieuses, donnez-moi cette plume et finissons-en. J’ai à faire.
Aussi brutalement qu’il l’avait empoigné, il laissa retomber Maublanc qui resta un instant sans réactions dans son fauteuil, reprenant son souffle. Sans un mot, il tendit la plume, indiquant de l’autre main les endroits où Tournemine devait apposer sa signature…
Ce fut quand le maître de « Haute-Savane » jeta enfin la plume qu’il reprit :
— Vous ne me croyez pas, chevalier, et vous avez tort. Que savez-vous au juste de Simon Legros ?…
— Que c’est une brute et très vraisemblablement un assassin car on m’a dit que M. et Mme de Ferronnet ne sont pas morts d’une mort absolument naturelle, qu’il est un bourreau pour les esclaves et une terreur pour ceux qui lui déplaisent. Enfin, qu’il a pour maîtresse une certaine Olympe qui passe pour sorcière…
— Qui est une sorcière et de la pire espèce ! Qui tombe en son pouvoir, mort ou vivant, ne s’en échappe pas car tous les démons de la nuit, des forêts et des abîmes lui obéissent. Ne plaisantez pas avec cela, monsieur, c’est un danger réel et la folie guette ceux dont l’esprit est assez faible pour se laisser envahir par l’horreur.
— Mon esprit à moi est des plus solides. Mais que venez-vous de dire. Mort ou vivant ? Qu’entendez-vous par là ?
— Que sur cette terre les
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