Haute-savane
bout du parc, près de la lisière des champs de coton, et qui était, naguère encore, le domaine privé de Jacques de Ferronnet. Gilles l’avait fait remettre en état et aménager pour que trois personnes pussent y vivre à l’aise.
Sachant qu’Anna et Madalen avaient coutume de se rendre chaque matin à une petite chapelle située sur le bord du Limbé à mi-chemin de Port-Margot pour y entendre la messe et que cette heure était celle où elles revenaient, il se dirigea vers la petite maison blanche à laquelle un énorme flamboyant donnait un cadre somptueux, mais il en était à peu près à mi-chemin quand il rencontra Pierre qui, à cheval, remontait vers l’habitation. Le jeune homme semblait à la fois soucieux et pressé mais il s’arrêta tout de même pour saluer Tournemine.
— Tu as ta tête des mauvais jours, Pierre. Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda celui-ci.
— Ma mère n’est pas bien, ce matin. Je vais chercher le docteur Finnegan.
— Rien de grave, j’espère ?
— Je ne pense pas. Quand elle s’est levée, ce matin, elle ne s’est pas sentie bien et elle s’est recouchée, laissant Madalen aller seule à la messe après lui avoir donné un peu de thé. Elle pensait qu’en prolongeant son repos son état s’améliorerait mais elle ne cesse de vomir et je préfère aller chercher le docteur.
— Tu as raison. Va vite !
Il faillit ajouter « Je te suis… » mais se retint car, si le moment était vraiment mal choisi pour aller offrir un bijou, ce que Pierre venait de dire lui avait fait battre le cœur un peu plus vite. Madalen était allée seule à la petite église et cela signifiait qu’il était possible de la rencontrer. L’envie d’aller au-devant d’elle s’était faite irrésistible et Gilles ne faisait aucun effort pour lui résister : il y avait si longtemps qu’il n’avait eu l’occasion d’être seul, un instant, avec celle qu’il aimait…
Pierre disparut derrière un grand coupe-vent de roseaux frissonnants et Gilles continua doucement le chemin qui menait à la rivière et à la chapelle. Bientôt, il aperçut Madalen. Assise sur un âne gris qui ne lui servait guère que pour ce chemin un peu long qui la menait vers la maison de Dieu, elle remontait lentement vers la maison sous les arbres pourpres. Elle avait laissé la bride sur le cou de sa monture et contemplait rêveusement une mince branche de jasmin qu’elle portait de temps en temps à ses narines. Vêtue d’une ample robe d’indienne de ce bleu tendre qu’elle affectionnait, un léger bonnet de mousseline blanche tremblant sur la soie argentée de ses cheveux blonds relevés sur le front en une lourde masse d’où s’échappait, frissonnant contre son cou, une longue boucle douce, elle était ravissante et claire comme un matin de printemps.
En découvrant Gilles debout au milieu de son chemin, elle tressaillit et devint très rouge mais retint son âne. Son regard bleu s’affola, cherchant visiblement une issue, un trou par où fuir le péril qui la menaçait. Mais il ne lui laissa pas le temps de trouver cette issue providentielle et, s’avançant vivement vers elle, il saisit l’âne par la bride.
— Il n’y a pas d’autre chemin, Madalen, dit-il en riant. Ni d’autre moyen de rentrer chez vous…
Elle détourna la tête, lui refusant la rencontre de son regard.
— Je n’en cherche pas, monsieur le chevalier, je vous l’assure.
Il nota au passage qu’elle en était revenue à l’appellation cérémonieuse dont il l’avait cependant priée de ne plus se servir mais n’en fit pas la remarque. Il n’avait encore jamais rencontré de fille aussi difficile à manier.
— C’est très laid, vous savez, de mentir en revenant de la messe, dit-il.
Mais, comme il la voyait déjà prête à pleurer, il changea de ton.
— Madalen, fit-il doucement. Avez-vous si peur de moi ?
— Mais je n’ai pas peur…
— Alors pourquoi me fuyez-vous ? Ne me pardonnerez-vous jamais ce qui s’est passé dans le petit cimetière de Harlem ? Allons, ayez au moins le courage de me regarder…
Le regard qu’elle ramena sur lui était si craintif qu’il eut pitié d’elle mais, déjà, comme si la vue du jeune homme lui était insupportable, elle le détournait et murmurait :
— Ce n’est pas à vous que j’ai à pardonner : c’est à moi… Je n’aurais jamais dû vous avouer que… que…
Elle butait sur le mot comme elle butait sur l’idée
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