Haute-savane
même de l’Amour dans sa plénitude. Il acheva pour elle :
— Que vous m’aimiez ? Mais ce n’est pas un crime, Madalen.
— Si, c’en est un car vous appartenez à une autre. Vous êtes marié et je n’ai pas le droit de vous aimer…
— Le droit, le droit ! Le cœur seul a des droits. Il n’est pas responsable de ses impulsions et vous n’y pouvez rien. Ce n’est pas votre faute et ce n’est pas non plus la mienne si je n’aime plus ma femme… qui d’ailleurs ne m’aime plus.
— Cela ne change rien au fait qu’elle est votre femme devant Dieu et les hommes. Rien n’est possible entre nous… monsieur Gilles, rien ! La sagesse serait sans doute que je m’en aille mais je ne peux partir seule et les miens sont heureux ici…
— Vous avez vraiment envie de partir ? Dites-moi la vérité, Madalen, vous avez vraiment envie de vous éloigner de moi ?
Elle secoua désespérément la tête et il vit des larmes rouler sur sa joue.
— Non… non ! Vous savez bien que non ! Je vous en prie, n’essayez plus de me voir seule, n’essayez plus de me rencontrer comme vous venez de le faire. C’est cruel… À moins que vous n’ayez quelque chose d’important à me dire.
— Je vous dis que je vous aime et vous pensez, apparemment, que ce n’est pas important ? fit-il amèrement. Eh bien… ce matin, j’ai retrouvé deux petits objets que j’avais achetés pour votre mère et pour vous au jour de notre arrivée ici. Des présents de bienvenue, en quelque sorte. Je les avais un peu oubliés à cause de tout ce que nous avons vécu depuis et je venais chez vous pour les apporter quand j’ai rencontré Pierre. Tenez ! le plus petit est pour votre mère, l’autre pour vous…
En dépit de sa piété extrême et de son austère façon de regarder la vie, Madalen n’en était pas moins une véritable fille d’Ève et elle ne résista pas à l’attrait de ce petit paquet enveloppé de soie. Un instant plus tard, le joli cercle de feuilles d’or et de petites perles brillait au soleil au bout de ses doigts tremblants.
— Ce n’est pas possible ! murmura-t-elle. Ce ne peut pas être pour moi ? C’est beaucoup trop joli… Je ne peux pas le porter.
Mais son regard bleu était plein d’étoiles et Gilles comprit qu’elle était heureuse.
— Rien n’est trop joli pour vous, Madalen, dit-il avec une tendresse dont il ne fut pas le maître. Bientôt, quand nous en aurons fini avec les travaux de la plantation et de la maison, nous donnerons une grande fête. Vous pourrez alors porter votre bracelet et moi je serai heureux d’avoir un tout petit peu contribué à vous faire encore plus belle…
Gilles ne devait jamais savoir ce que lui aurait répondu une Madalen devenue toute rose et dont les yeux, tout à coup, avaient pour lui tant de douceur car à cet instant précis Judith, montée sur sa jument blanche, sortit brusquement de derrière la haie de citronniers qui abritait le chemin. Sanglée dans une amazone vert sombre sur laquelle croulait librement la masse flamboyante de ses cheveux elle était, superbement, l’image de l’orgueil offensé. Du haut de sa monture, elle laissa tomber sur le couple son regard étincelant de colère.
— Les paysans se retrouvent toujours ! lança-t-elle avec le maximum de mépris. Qui se ressemble s’assemble. Si ceci – et du bout de sa cravache elle désigna le bracelet – est le prix de votre vertu, ma fille, votre séducteur ne l’estime pas très haut. Les belles mulâtresses du Cap donneraient tout juste une nuit pour ça. Vous devriez réviser vos prix…
Et, avant que Gilles ait pu lui répondre, elle avait touché, du bout du mince jonc de cuir cerclé d’or, la croupe de son cheval qui l’emporta au galop vers la maison.
Madalen était devenue pâle jusqu’aux lèvres. Comme s’il la brûlait à présent, elle jeta le bracelet à Gilles et éclata en sanglots. Elle aussi fit repartir son âne à vive allure sans rien vouloir entendre des excuses et des consolations que lui prodiguait Gilles. Il tenta de la poursuivre. Mais, voyant apparaître à travers les arbres Pierre qui revenait en compagnie de Liam Finnegan, il s’arrêta, jugeant avec quelque raison qu’il devait être ridicule à courir ainsi derrière un âne. Puis, par un détour, il regagna lui aussi la maison, décidé à faire sentir à Judith le poids de son indignation pour l’injure qu’elle venait d’infliger à une innocente, mais
Weitere Kostenlose Bücher