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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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éprouvé quelques inquiétudes du fait d’un prince chérifien, grand amateur de chevaux et de cartes, fort beau de surcroît, qu’elle avait rencontré chez Mme de Polignac et qui lui montrait une admiration… un peu envahissante. J’ai même craint qu’il ne la fasse enlever et j’ai préféré l’enlever moi-même : nous avons pris le bateau plus vite que prévu. Ici, je suis tranquille…
    Il s’interrompit. L’intendant général de Saint-Domingue venait droit sur eux.
    — Je vous cherchais, monsieur de La Vallée, dit-il froidement. On ma rapporté qu’un navire vous appartenant, chargé de café jusqu’aux écoutilles, a quitté discrètement le môle Saint-Nicolas, il y a deux nuits, à destination de la Nouvelle-Angleterre ? Est-ce vrai ?
    Jamais les yeux de La Vallée n’avaient été d’un bleu si candide. Son aimable figure se voila d’une douloureuse tristesse.
    — Comment puis-je répondre à une telle question, monsieur l’intendant ? Mes navires vous sont connus : je n’ai que deux transports pour mon café : le Trois-Rivières qui a dû toucher Nantes voilà une semaine et la Fleur de Mai qui est au carénage. On m’aura encore calomnié.
    Le marquis de Barbé-Marbois aurait pu parfaitement passer pour un Anglais tant par son physique qui était celui d’un homme du Nord, mince, élégant et froid, que par son humour glacé. Il considéra, avec un sourire en coin, le chef-d’œuvre d’innocence bafouée que représentait le visage de son interlocuteur.
    — Il semble que l’on vous calomnie beaucoup ces derniers temps… vous et certains autres, d’ailleurs. Vous n’imaginez pas combien de fois, dans un mois, j’entends dire qu’un navire a quitté l’île pour une tout autre destination que la France…
    — J’imagine très bien, au contraire, dit La Vallée soudain très net. Nous sommes nombreux à souhaiter que Versailles imagine aussi de temps en temps. Le régime de l’Exclusif n’est plus supportable depuis la révolution américaine dans laquelle l’île a joué un rôle stratégique en affaiblissant la force navale anglaise. Il n’est plus supportable que l’activité de près d’un millier de sucreries, de deux mille caféières et de trois mille cinq cents indigoteries n’ait droit à d’autres débouchés que notre métropole. À présent que la paix est revenue nous pourrions élargir sans peine notre marché aux jeunes États-Unis. Je sais que M. de Vergennes était assez favorable à une révision de notre charte et que…
    — M. de Vergennes est mort, coupa doucement de Barbé-Marbois, et il semblerait que le nouveau ministre des Affaires extérieures ne soit guère favorable à des changements, quels qu’ils soient. D’autant que l’île n’est pas de son département mais de celui de la Marine. Le maréchal de Castries était lui aussi un homme ouvert aux idées… intelligentes. Malheureusement, il a démissionné et vous n’ignorez pas que M. de La Luzerne est, pour sa part, solidement accroché à l’Exclusif. En fait, c’est lui qui m’a prié de faire quelque peu la chasse aux contrebandiers, afin sans doute de faire meilleure figure en arrivant à Versailles. Ce n’est pas facile de succéder au maréchal !…
    — Si je comprends bien, intervint Gilles qui avait écouté attentivement la conversation des deux hommes, l’île n’a guère de chance en ce moment. La mort de Vergennes, le départ de M. de Castries ! Au fait, pourquoi quitte-t-il son poste ?
    — Il ne peut guère faire autrement. La guerre entre lui et le ministre des Finances Calonne est devenue inexpiable. Ce dernier accuse presque ouvertement le maréchal du déficit financier de la France, ce qui est faux. Depuis des années, le maréchal s’efforce de faire comprendre au roi quelle est la bonne pente pour l’intérêt du royaume, une pente qui ne passe pas par la diminution du budget d’une marine qui a si fort contribué au relèvement de la France dans le monde. Mais il se heurte à la reine… et il est las de jouer les Cassandre. En outre, sa santé n’est pas des meilleures. J’admets volontiers que nous le regretterons…
    La reine ! Encore elle ! Quand donc Marie-Antoinette se lasserait-elle de creuser sous ses pieds et ceux du roi un abîme capable de les engloutir et dont, enfermée qu’elle était dans sa petite coterie et les mièvreries de Trianon, elle ne soupçonnait même pas la première petite faille ?

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