Haute-savane
buffets.
— Vous ferez porter leur contenu aux indigents. Ils ne manquent pas du côté du port.
Satisfait, Gilles quitta la maison et, passant par-derrière afin d’éviter la foule des voitures, se dirigea vers les écuries de brique rouge et de bois qui s’étendaient sur l’un des côtés de la demeure, à l’opposé de ce qui était, avant la guerre, le quartier des esclaves.
L’obscurité, la douceur de la nuit et ses odeurs d’herbes fraîches lui parurent délicieuses après l’agitation, le bruit et les lumières de la fête. Il y retrouva le chagrin du petit garçon abandonné que la colère de tout à l’heure avait assourdi un instant. S’y joignait quelque chose qui ressemblait à un remords, celui d’avoir arraché sa vieille Rozenn à sa chère Bretagne, de l’avoir échouée sur cette terre étrangère juste le temps d’y mourir.
Sans son égoïsme, elle vivrait encore, assise au coin de quelque cheminée, les pieds dans la cendre chaude, tricotant interminablement gilets de laine et paires de bas en écoutant à la veillée les histoires des conteuses, les contant elle-même parfois… Bien sûr, depuis que Marie-Jeanne Goelo avait fermé sa petite maison de Kervignac pour s’en aller au couvent de Locmaria, abandonnant Rozenn avec une odieuse indifférence, la vieille femme s’était sentie très seule en dépit des amitiés qui s’étaient chargées d’elle. Elle avait accepté d’enthousiasme la proposition de son ancien poupon de s’en aller vivre en Amérique et Gilles, en l’emmenant, avait eu en vue principalement l’éducation de ce fils inconnu que lui gardaient les Indiens, mais il en venait à penser qu’en expatriant Rozenn il avait surtout obéi à un mouvement égoïste : c’était son enfance à lui et la seule famille qui lui restât qu’il avait souhaité emmener avec lui…
À présent, aucun petit garçon ne viendrait plus se nicher dans le giron tendre de Rozenn mais peut-être, après tout, était-il mieux qu’il en fût ainsi puisque le fils de Sitapanoki ne serait jamais le dernier des Tournemine…
Avec le roulement de la dernière voiture, le silence prit peu à peu possession de Mount Morris. Gilles aspira deux ou trois fois, fortement, l’air frais de la nuit puis, essuyant avec rage les larmes qui coulaient encore sur ses joues, quitta l’abri de son arbre et prit résolument la direction des écuries.
Il trouva Pongo dans la stalle de Merlin et sentit son cœur s’alléger en retrouvant, ensemble, ceux qu’il considérait comme ses meilleurs amis. Avec des soins dévotieux, l’Indien lustrait la robe dorée du cheval qui, reconnaissant le pas de son maître, tourna la tête et hennit de joie, montrant ses grandes dents en une sorte de sourire qui trouva son reflet immédiat sur la figure de Pongo.
— Maître enfin revenu ! s’écria-t-il avec, lui aussi, une note de soulagement dans la voix. Pongo bien heureux…
Les deux hommes se serrèrent la main tandis que Gilles remarquait :
— Cela veut dire que tu ne l’as guère été durant mon absence…
— Ni heureux ni malheureux mais les choses sont allées tout de travers. Difficile pour Pongo obéir à une femme.
— Sois sans crainte, cela ne se produira plus. J’ai, pour commencer, jeté dehors tous ces gens dont ma femme avait rempli la maison. Ils n’ont que faire chez moi et moi je n’ai que faire d’eux.
L’amertume qui vibrait dans la voix de Tournemine n’échappa pas à l’ancien sorcier des Onondagas. Il connaissait son maître par cœur et ne se trompait jamais quand il s’agissait de ses états d’âme.
— Visite au grand chef blanc pas satisfaisante ?
— Pas du tout ! La concession sur la Roanoke River n’était qu’une illusion, un rêve. On m’avait donné, à ce qu’il paraît, des terres non disponibles, oh ! on m’en a offert d’autres… très loin à l’ouest, là…
— … où il est difficile de garder scalp sur la tête. Dommage ! Et… l’enfant ?
Brièvement, Gilles raconta ce qui s’était passé au camp des rives de l’Oswego. Machinalement, et peut-être pour se donner le courage d’évoquer ces heures qui lui demeuraient cruelles, il caressait doucement la tête soyeuse de Merlin dont les grands yeux le regardaient avec quelque chose qui ressemblait à de la tendresse.
— Je n’ai pas eu le courage de briser le cœur de cette femme, Nahena, dit-il en conclusion. Peut-être ai-je eu tort…
La main de
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