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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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italiens se disséminent dans le livre). Ce dédoublement est
bien trop invraisemblable, cependant, pour qu’il serve
dans toute circonstance. La solution qu’avance alorsHergé est très simple en même temps qu’elle laisse perplexe, tant est énorme le coup de force qu’elle constitue.
Il décide en effet que presque tout le monde parlera français, retrouvant ainsi au niveau de la parole des personnages un manque de réalisme dont il s’était très vite
débarrassé au niveau des écrits inclus dans la fiction. Dès Le Lotus bleu , l’on a donc affaire à des albums « mixtes » :
le décor sera exotique, le discours de ses habitants, français.
    Or c’est de ce mélange que va naître, pour le lecteur,
une très forte contestation du désir réaliste de la fiction.
Autrement dit, le parti pris de la communication (Hergé
veut que ses héros et que ses lecteurs puissent entrer de
plain-pied dans les mondes les plus différents) aboutit à la
plus pure des invraisemblances (s’il reste acceptable que
des Maghrébins ou des Sud-Américains connaissent le
français, n’est-ce pas présumer de l’universalité du français
en le supposant connu dans le monde entier ?). Il apparaît
ainsi que le réalisme d’Hergé est un réalisme d’ effets , non
de moyens . Ces derniers peuvent être forcés, pour qu’ait
lieu la transparence de la lecture qui innocente l’artefact
en le déclarant « vrai ». L’effet réaliste sera obtenu du
moment que le déchiffrement sans peine du résultat vient
cacher l’artifice des moyens mis en œuvre. Il en va ainsi,
au tout début de L’Oreille cassée , de la taille des cartouches
expliquant sur un socle ou dans une vitrine la nature et la
provenance des objets qu’ils étiquettent : si par rapport à
la pièce qu’elles identifient, ces inscriptions sont tout à
fait gigantesques, cet agrandissement est rendu nécessaire
par la considération du point de vue du lecteur, pour qui
elles doivent être lisibles sans problème.
    Bien entendu, dans cette conversion au français du
Babel universel, Hergé prend plus d’une précaution.
    Le français restera en effet « impur », de façon à ce que
perce l’exotisme du sujet dont l’altérité se marque
doublement : à hauteur de la prononciation et par l’appel
fréquent à certains énoncés ou syntagmes types du code
étranger, comme les interjections ou les formules de salut,
formes presque rituelles appelées uniquement au nom de
la couleur locale. C’est le système qu’un Edgar P. Jacobs
portera à son comble dans Blake et Mortimer , avec ses
célèbres « Damned ! », « Gentlemen » ou « God save the
Queen ».
    Par ailleurs, Hergé laisse subsister quelques îlots de
résistance suffisamment circonscrits pour ne pas nuire à
l’homogénéité de l’ensemble. Certaines régions s’avèrent
ainsi rebelles au français. Trop attachés à leur indépendance, les Syldaviens n’hésitent pas à maintenir leur
langue nationale, même si les élites du pays parlent français. Trop coupés de toute civilisation, les Arumbayas restent murés dans leur langue indigène, si bien que les services d’un interprète (Ridgewell) s’avèrent indispensables,
sauf lorsque les sauvages parlent entre eux. Alors c’est, de
nouveau, le français qui s’impose. Relue dans cette perspective, la page 52 de L’Oreille cassée , par exemple, est
bien le comble de l’irréel, avec ses brusques et, surtout,
invraisemblables mutations de langue occasionnées par
l’absence ou la présence de Tintin.
    On le voit, l’inclusion de ces langues étrangères ne peut
s’expliquer par la seule volonté d’accroître l’ancrage réaliste de la série. Car d’un côté, elle est trop parcimonieuse
pour vraiment jouer ce rôle : la part du français reste trop
grande pour ne pas devenir irréaliste. Et de l’autre, ses
formes concrètes ne sont pas non plus exemptes de
curieuses apories. D’autres raisons doivent donc avoir
joué.
    Cela apparaît dans le fait que le français, contrairement
à ce qui a d’abord été suggéré, n’a pas toujours le dernier
mot. C’est le cas des jurons, surtout. Quand la colère
devient trop forte, la décence exige que les insultes soient
censurées et laissent place à l’image : ou bien des idéogrammes , lorsqu’il s’agit d’un locuteur francophone (le
capitaine exprime ainsi sa rage à l’aide de l’emblème des
pirates, entre autres : crâne sur

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