Histoire De France 1618-1661 Volume 14
étaient pas. Mais les bourgeois ne s'aperçurent que trop du voisinage de ces troupes mal disciplinées, battues, mais impudentes et de mauvaise humeur, qui n'auraient pas mieux demandé que d'avoir sur leurs hôtes le succès qu'elles n'avaient pas eu sur l'ennemi.
Condé trouva la ville fort changée et fort partagée. La Fronde même, qui venait de le sauver, n'était nullement d'accord pour lui. Sans parler de la Fronde inerte du cardinal de Retz, caché à Notre-Dame, il y avait la Fronde orléaniste, attachée à Monsieur; la Fronde royaliste, qui voulait le retour du roi et de la cour, et n'excluait que Mazarin. Celle-ci, c'était vraiment presque toute la ville. Peu voulaient Mazarin, et peu voulaient Condé.
Condé n'avait qu'une chance, frapper un coup sanglant, se relever par la terreur, compromettre Monsieur. Qui donna ce conseil sinistre? Qui fit croire à Condé que cet excès d'ingratitude, de frapper qui l'avait sauvé, de punir Paris, son asile, de sa généreuse hospitalité, lui porterait bonheur? On l'ignore. Peut-être un sot et dur soldat, de ces ignorants capitaines, bornés comme un boulet. Ou bien serait-ce l'homme de Richelieu, élevé aux choses violentes, le malencontreux Chavigny, un fils de la fatalité, né pour aller de faute en faute, de malheur en malheur, qui mourut peu après, fort pénitent, fort janséniste? Il seraitmort, dit-on, des reproches que lui fit Condé d'avoir traité pour lui; mais, qui sait? ces reproches avaient peut-être un autre sens.
Le prévôt des marchands avait convoqué à l'Hôtel de Ville une assemblée pour le 4 juillet, six magistrats et six bourgeois de chaque quartier, de plus tous les curés, redevenus, comme Retz, grands amis de la paix. Les magistrats frondeurs étaient sûrs d'y être envoyés, et l'on pouvait prédire que la majorité serait frondeuse. Mais frondeuse de quelle nuance? De celle qui voulait le roi sans Mazarin .
Cette Fronde-là avait sauvé Condé, mais elle ne voulait pas éterniser pour lui la guerre.
Le 3 juillet, Condé prit son parti, et chargea ses soldats de faire peur à cette assemblée. Il fit louer le soir chez les fripiers deux cents habits d'ouvriers dont il affubla pareil nombre de ses tueurs les plus déterminés. On loua à la Grève quelques chambres, où l'on pratiqua dans les murs des meurtrières qui répondraient juste aux fenêtres de la salle de l'Hôtel de Ville, qui étaient en face. On jeta un mot d'ordre dans la population misérable du quartier, les maçons sans ouvrage, les bateliers qui ne naviguaient plus: on dit partout la nuit qu'il fallait en finir avec les Mazarins. La chaleur était grande. Pour donner l'élan à l'affaire, on eut soin d'amener en Grève cinquante pièces de vin à défoncer.
Talon, un honnête homme et un consciencieux magistrat, affirme qu'un des amis du prince, M. de Rohan, sut la nuit cet affreux secret; que, le 4 au matin, il pria, supplia Condé de ne point faire cette chose insenséeet horrible. Elle devait lui donner un jour de force, mais le lendemain l'horreur universelle, la haine de Paris, qui s'ouvrirait au Mazarin. Pouvait-il bien, d'ailleurs, envelopper dans ce carnage les plus ardents frondeurs, les gens de son parti, du parti qui venait de lui sauver la vie en le couvrant du feu de la Bastille.
Le second de Broussel, Charton, allait se trouver là. L'aîné des barricades, Miron, celui qui, le premier, fit battre le tambour au jour où naquit la Fronde, Miron, allait aussi en aveugle à la mort. Mais, outre ces frondeurs, il y avait des gens, le conseiller Ferrand, l'échevin Fournier, qui étaient purement et simplement amis des princes et des séïdes de Condé. N'était-ce pas une chose énorme et monstrueuse de ne pas les avertir? On eût ébruité le secret, dira-t-on. Mais il était déjà communiqué à tant de gens! Rohan ne fut pas écouté. Apparemment les conseillers du prince jugèrent qu'en cette vieillesse des partis, les amis trop anciens sont tièdes, cependant exigeants, et qu'on est trop heureux de ces purgations fortuites qui expulsent un sang refroidi.
Soit que le secret transpirât, soit pressentiment vague, plusieurs hésitaient d'y aller. Un marchand de la rue Saint-Denis, fort estimé, aimé, était retenu par sa femme. Il dit: «Je suis nommé, c'est mon devoir d'aller.» Mais il se confessa et communia, pensant aller à la mort.
Les deux princes arrivèrent fort tard à l'Assemblée (Conrart dit à six heures). Condé sans
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