Histoire De France 1618-1661 Volume 14
toujours pour égaux dans le commandement le médiocre La Ferté, qui arrivait toujours trop tard, s'étonnait, s'embrouillait. Bien plus, le brutal Hocquincourt, un soldat inepte et perfide, dont le mérite unique était d'avoir offert d'assassiner Condé et d'avoir ramené Mazarin [29] .
On voit très-bien, dans les récits, quoique modestes et fort doux de Turenne, jamais accusateur, combien ces généraux de Mazarin lui furent embarrassants et dangereux. En 1654, la grande armée des Espagnols voulant reprendre Arras, Turenne exigea, décida qu'on forcerait leurs lignes. La Ferté, Hocquincourt, ne s'en souciaient pas, et croyaient la chose impossible.Ils s'y prirent de manière qu'elle le devint presque en effet. L'attaque générale devait se faire la nuit; ils n'arrivèrent qu'au jour. Mais déjà Turenne seul avait forcé les lignes et défait l'ennemi.
Cela ne décourage pas Mazarin. Il maintient La Ferté pour commander avec Turenne. Il en résulte à Valenciennes (1656), qu'ils assiégeaient, le plus terrible événement. Les Espagnols, ayant rompu les écluses des marais voisins, attaquent, à la faveur de cette inondation, le corps de la Ferté, ne rencontrent nulle garde avancée, prennent le général, tous les officiers, tuent quatre mille hommes. Tout cela en un quart d'heure. Jamais le sang-froid de Turenne ne parut davantage. Lui seul, il n'eut pas peur, n'éprouva aucun trouble, retira son canon, et s'en alla au petit pas. L'armée croyait rentrer en France, et déjà le bagage en avait pris la route. Mais Turenne le fit arrêter, resta en pays ennemi, campa près du Quesnoy. Les ennemis, ayant eu du renfort, semblaient devoir venir à lui. Les nôtres étaient d'avis de ne pas les attendre. Turenne ne bougea, attendit. Les Espagnols respectèrent son repos.
Notons un fait piquant. Dans une occasion (Mém. d'Yorck, p. 589), Turenne a peur, Mazarin n'a pas peur.
Les prêtres et les femmes ne craignent rien. Il s'agissait de passer une rivière sous le feu de l'ennemi; mais devant la rivière il y avait encore des marais et des retranchements, des fossés, et l'on n'arrivait au passage que par une étroite chaussée. Mazarin soutenait que, le roi étant là en personne, on devait bravertout, passer. Turenne objecta qu'on perdrait trop de monde. Mais cela n'eût guère arrêté s'il n'eût montré la chose comme absolument inutile, parce qu'on pouvait passer plus bas.
Était-ce humanité? Non, prudence et bon sens. Des romanciers ont travesti Turenne en je ne sais quel philanthrope, un Fénelon guerrier. Il n'y a rien du tout de cela. La réalité est que la guerre de Trente ans, ayant perdu ses fureurs, ses chaleurs, ayant usé cinq ou six générations de généraux, de plus en plus indifférents, sans passions et dégagés d'idées, a fini par produire l'homme technique ou l'art incarné, lumière, glace et calcul. Nulle émotion ne reste plus. C'est la guerre quasi pacifique, mais non moins meurtrière.
Un froid mortel saisit; une Sibérie à geler le mercure. On voyage dans la nuit des pôles, plus lumineuse que le jour, où l'on voit des batailles de glaces heurtant les glaces, de cristaux brisant des cristaux. Un grand désert. Plus d'hommes, et pas même de morts. Et même on ne s'en souvient plus. [Retour à la Table des Matières]
Note 10: Richelieu doit être jugé relativement aux difficultés infinies de sa position. La dévotion du roi, ses ménagements pour Rome, l'espoir de devenir légat, lièrent le ministre aux Jésuites, et l'empêchèrent d'être ce que la fierté de son génie l'aurait fait être, un gallican, un sorboniste (lui, fondateur de la Sorbonne nouvelle). Ce qui étonne le plus, c'est que dans sa politique et son intérieur même, il les subit par l'ascendant croissant d'un homme affilié à la Société, d'un sot fieffé, dangereux, haineux, venimeux, mais le scribe des scribes et d'un travail énorme: Sublet du Noyer. Richelieu le fit, en 1633, secrétaire d'État de la guerre, le chargea fort imprudemment d'inspecter nos places en 1636, crut aux rapports de l'ignorant, ce qui nous valut l'invasion et les faciles succès de l'ennemi qui vint presque à Paris. Cette bévue, qui devait le faire chasser, fut au contraire récompensée. Il fut chargé de fortifier des places, de diriger des siéges, d'organiser la marine: il eut la surintendance des bâtiments et manufactures, la surveillance de l'imprimerie royale, etc. Richelieu, accablé, malade, ne s'occupait
Weitere Kostenlose Bücher