Histoire De France 1618-1661 Volume 14
de ce peureux leur eût fait rebrousser chemin si Turenne n'avait insisté, se mettant au même carrosse, et les couvrant de la présence du redoutable général qui venait de primer Condé (21 octobre).
La chose réussit. Le peuple applaudit fort le roi. Déjà le clergé de Paris, Retz en tête, les corps de métier, l'avaient prié de revenir. Le 22, le Parlement est mandé au Louvre, dans une salle pleine de soldats et sous l'œil de Turenne. Là, ce beau jeune roi, qui laveille avait été si près de rebrousser chemin, fait lire aux magistrats, vaincus sans combat, la défense de se mêler d'aucune affaire publique, ni spécialement de ses finances, ni entreprendre contre ceux à qui il confie l'administration. C'est la proclamation solennelle et définitive de la monarchie absolue, du grand règne, et de l'âge d'or, qui, parti de la banqueroute, aboutit en un demi-siècle à la sublime banqueroute des trois milliards qui rasa le pays.
Le cardinal de Retz, qui, dès septembre, a reçu le chapeau, est accueilli, caressé et choyé. La reine lui déclare que lui seul a mis le roi dans Paris (éloge vrai, il divisa la Fronde). Et lui seul aussi est frappé. Le 18 décembre, on le met à Vincennes. Alors Mazarin, rassuré, hasarde de rentrer à Paris (février 1653).
Ce qui rend dans tout cela l'initiative de Turenne bien étonnante, c'est que, seul à la cour, il s'obstina pour Mazarin. La reine était entourée de gens lassés et excédés de lui. Elle avait sous la main un homme digne et capable, Châteauneuf, qui l'eût remplacé. L'aimait-elle encore véritablement? Elle venait de sentir son ingratitude, sa perversité (dans la tentative de lui enlever le jeune roi par le goût des plaisirs honteux). Dès son premier voyage, elle avait paru vacillante. Combien plus au second! Par quoi la tenait-il? Très-probablement par le mariage. Mangeuse et fort sanguine, sensuelle et dévote, le tempérament, les scrupules, la ramenaient à cet homme méprisé, odieux, dont elle avait besoin. Elle le dit nettement dans une lettre, comme les femmes n'en écrivent guère (V. Ravenel, Walckenaër, Sévigné , et Cousin, Hautefort ).Elle y avoue «qu'elle n'en peut plus.... Et il sait bien de quoi.»
Turenne, très-bon observateur, vit cela, et conclut que, de toute façon, Mazarin finirait par revenir. Il craignit de compliquer la résistance militaire par une révolution de cour.
Cela semblait d'un esprit positif, d'une politique prudente, basse, il est vrai, mais sûre. Si ce coquin était indispensable, si le salut, la paix étaient en lui, il fallait bien le prendre. Mais on eût pu cependant objecter que Turenne, en portant si haut le drapeau de Mazarin, en voulant même, à son départ, qu'on déclarât qu'il reviendrait , se créait, par la force de ce nom détesté, une difficulté très-réelle et au roi un obstacle. Il n'y parut pas dans le Nord, mais beaucoup dans le Centre, et encore plus dans le Midi. Tandis qu'on avait si peu de forces devant l'invasion espagnole, il fallut employer des troupes en Bourbonnais, et bien plus en Guienne, où la résistance contre Mazarin dura un an encore. Pourquoi? Il s'obstinait, dans ce grand péril de la France, à faire recevoir à Bordeaux le fils du duc d'Épernon, plus détesté que Mazarin même, mais qui devait épouser sa nièce!
Hors de la guerre, Turenne était un très-pauvre homme, tout à fait terre à terre, et, s'il ne fit jamais de mauvaise manœuvre, il fit bien des fausses démarches.
À lire ce qui précède, on le croirait un Machiavel, un égoïste et hardi courtisan, qui eût calculé que, cadet et pauvre, simple vicomte de Turenne, il arriverait plutôt au commandement général des armées en sedonnant pour maître un étranger isolé, méprisé. Mais ce n'est pas cela. Ses vrais motifs furent autres, tout militaires. Pour les comprendre, il faut connaître les hommes de la guerre de Trente ans.
Turenne et sa petite armée étaient une même personne, presque autant que l'armée de Lorraine et son duc, l'aventurier célèbre. Chacun des avis de Turenne et de ses conseils à la cour fut absolument relatif à la position et au salut de cette armée. Quand il empêcha, en juillet, la cour de fuir à Lyon, on allait l'affaiblir encore, lui prendre une escorte de deux mille hommes; et cette armée, ainsi mutilée, frappée moralement par l'abandon du roi, eût bientôt cessé d'exister. Quand il exigea, en octobre, que le roi hasardât de rentrer à
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