Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Histoire De France 1618-1661 Volume 14

Histoire De France 1618-1661 Volume 14

Titel: Histoire De France 1618-1661 Volume 14 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
Vom Netzwerk:
Paris, ce fut, dit-il, parce que, sans cela, il n'y eût eu pour l'armée «ni argent ni quartier d'hiver. Les officiers quittoient déjà tous les jours, faute de subsistances.»
    Comprenons bien ce que c'est que Turenne.
    Les très-bons portraits qu'on en a donnent une tête assez forte, médiocre, bourgeoise, où personne ne devinerait le descendant des Turenne du Midi, ni le frère de M. de Bouillon. C'est un terne visage hollandais (il l'était de mère et d'éducation), qui tournerait au bonasse s'il n'avait la bouche fort arrêtée, réservée, mais très-ferme.
    Cet homme de si grande résolution était hésitant de parole, trivial, ennuyeux, filandreux. L'état d'infériorité où il fut longtemps, comme cadet et bas officier dans les armées de la Hollande, resta en lui toute sa vie. Il était fort modeste, fort serré, non avare, maisextrêmement économe. Ses lettres de jeunesse le disent assez. Il y parle et reparle de son habit qui passe . Lui-même il était né râpé.
    Son flegme était extraordinaire, et rien, pas même la plus brusque surprise, ne l'en faisait sortir. Tout le monde sait l'anecdote suivante, qui, du reste, lui fait honneur. Il se levait de fort bonne heure. Un matin qu'il prenait l'air à la fenêtre, un de ses gens, voyant un homme accoudé là en bonnet de coton, le prend pour son camarade, et lui applique amicalement un énorme soufflet au bas du dos. L'homme se retourne, et c'est Turenne. «Monseigneur, s'écrie le frappeur à genoux, j'ai cru que c'était Georges ...—Mais, quand c'eût été Georges , dit Turenne en se frottant, il ne faut pas frapper si fort.»
    L'homme était excusable. Et tout le monde croira voir Georges si vous mettez à ses portraits un bonnet de coton.
    En ce temps d'emphase espagnole et de héros à la Corneille, la prose apparut dans Turenne. On vit que là guerre était chose logique, mathématique et de raison, qu'elle ne demandait pas grande chaleur, tout au contraire, un froid bon sens, de la fermeté, de la patience, beaucoup de cet instinct spécial du chasseur et du chien de chasse, parfaitement conciliable avec la médiocrité de caractère.
    Les Mémoires de Turenne n'indiquent pas qu'il ait jamais eu une émotion, jamais aimé, jamais haï. On dira que ce sont des Mémoires militaires, et qu'il n'a voulu qu'expliquer ses opérations. Cependant il est surprenant de voir que même les maîtres de son art,le grand Gustave, l'habile et savant général Merci (son vrai maître en réalité), n'obtiennent à leur mort, d'un écrivain si prolixe, pas un mot de sympathie. Une ligne pour Gustave dans une lettre, une pour Merci dans les Mémoires, et voilà tout. Cependant, à Nordlingen, si Merci n'eût été tué, Turenne n'eût pas sauvé Condé, et la bataille était perdue.
    Il est bien entendu que les effroyables événements qu'il traverse, l'état du peuple que son armée dévore, lui sont parfaitement indifférents. Il y a de temps en temps une ligne funèbre, mais rien de plus. «Pas un paysan dans les villages» (d'Alsace, p. 363).—«On passe cent villages sans rencontrer un homme» (en Palatinat, p. 342).—«Dans ce pays (de Moselle), il n'y a pas de quoi nourrir quatre hommes» (p. 399).
    Quant aux environs de Paris, on sait, mais non par lui, dans quel état ils se trouvaient, pillés et repillés, ravagés, affamés, outragés par les trois armées, puis empestés des cadavres innombrables d'hommes et de chevaux. Les belles dames de Paris s'en vont, en se bouchant le nez, à travers les charognes, faire collation dans ces armées, et Turenne fait taire le canon quand Mademoiselle va visiter Condé. Mais ces galanteries ne diminuent point l'horreur de la guerre. «Depuis cinq ans, ni moisson ni vendange (V. Feillet). Nous rencontrons des hommes si faibles, qu'ils rampent comme des lézards sur les fumiers. Ils s'y enfouissent la nuit comme des bêtes, et s'exposent le jour au soleil, déjà remplis et pénétrés de vers. On en trouve gisant pêle-mêle avec leurs morts, dont ils n'ont pas la force de s'éloigner. Ce que nousn'oserions dire, si nous ne l'avions vu, ils se mangent les bras et les mains, et meurent dans le désespoir [28] .»
    Le duc de Lorraine, en ces choses, était admirable. Il disait que son armée ne pouvait manquer de vivres, parce qu'au besoin elle mangeait les morts ou les blessés. Il était bon et indulgent pour les jeux du soldat. Un de ces jeux, à Lagny, c'est de rôtir un enfant au four; ailleurs, de

Weitere Kostenlose Bücher