Histoire De France 1618-1661 Volume 14
deux mensonges s'en allaient.
Le mensonge autrichien (de tant de peuples unisd'eux-mêmes, disait-on) était violemment démenti, et par la Bohême qui, en deux mois, passa à la Saxe, et par la Hongrie, demi-soulevée, et par l'Autriche elle-même qui voulait armer contre l'Autrichien.
Et le grand mensonge allemand, la fiction du saint-empire, la sotte comédie d'élire un prince réellement héréditaire, tout cela finissait aussi. Tous ces princes et principicules, valets-nés du plus fort, qui, sous l'ombre du grand vautour, mangeaient, suçaient le plus patient des peuples, il leur fallait quitter le jeu. Un vengeur et un protecteur arrivait à l'Allemagne pour briser à la fois et ses faux protecteurs, et le fléau de l'armée des brigands. Il avait été droit à Francfort, au champ d'élection, pour couper court avant tout à la vieille farce qu'ils allaient jouer encore, de faire un faux roi des Romains dans le fils de l'Autriche. Gustave, avec son titre de prince des Goths que portent les rois de Suède, assurait ne connaître rien au vieux droit de l'Empire. Son droit, c'était Leipzig, la vengeance et la délivrance de l'Allemagne, prouvée si incapable de se délivrer elle-même.
Nul doute qu'en présence du fléau exécrable qui rongeait le pays, l'armée générale des voleurs qui se refaisait sous Waldstein, il ne fallût un gardien de l'Allemagne qui campât, l'épée nue, non pas sur la Baltique au petit bord, mais au cœur, sur le Rhin. Un grand royaume armé du Rhin était la seule condition de salut pour cette race infortunée, si Dieu avait assez pitié d'elle pour conserver Gustave-Adolphe.
La Suède lui est-elle étrangère? Elle parle un dialecte germanique, et Gustave spécialement était Allemandpar sa mère. D'où vint donc cette répulsion, cette antipathie, cette froideur? D'elle-même, l'Allemagne est jalouse. Si grande et si féconde, matrice et cerveau de l'Europe en plusieurs de ses grandes crises, elle ne devrait rien jalouser. Et le Suédois encore moins qu'autre chose. Grand vainqueur, mais très-petit prince, très-pauvre, une force passagère qui ne pouvait tirer consistance et durée que d'une extrême bonne volonté de l'Allemagne. Elle lui manqua réellement. Les princes, ceux du moins qui ne furent pas forcés par la présence de Gustave, suivirent de leur mieux le conseil de Richelieu, de rester impartiaux et de garder une juste balance entre Dieu et le Diable, entre leur sauveur et leur exterminateur. La bourgeoisie des villes impériales, qui, quinze années plus tôt, avait appelé Gustave, lui venu, se montra prudente, fine et avisée, politique, aidant le moins possible celui qui combattait pour tous, chicanant au libérateur ce que le lendemain elle donna généreusement aux brigands.
Il me faut bien ici laisser les grandes choses pour conter les petites, voir maintenant comment Richelieu, en entravant Gustave, profita de ses victoires, exploita habilement la terreur de son nom et grappilla sur sa conquête.
L'histoire est identique ici à l'histoire naturelle. L'astucieux corbeau suit l'aigle ou va devant, attentif à se faire sa part, s'invitant au repas et relevant les restes même avant la fin du festin.
L'attention qu'il a dans ses Mémoires à brouiller son récit, à intervertir les dates de mois et jours, empêched'observer que chaque pas de Louis XIII suit chaque victoire de Gustave; que nos succès sont les contrecoups naturels des grands succès de là-bas. Il est bien entendu que la plupart des auteurs de mémoires et historiens ont reproduit soigneusement ce désordre. Rétablissons le synchronisme des affaires d'Allemagne et de celles de France qui en étaient les résultats.
Richelieu ne bougea avant que Gustave eût gagné sa bataille de Leipzig (7 septembre 1631). À l'instant, il emmena le roi avec quelques troupes qu'il avait en Champagne (23 octobre), et fondit sur la Lorraine allemande, investit Moyenvic, petite forteresse de l'évêché de Metz, que les soldats de l'Empereur occupaient et fortifiaient. Le drapeau impérial flottant sur Moyenvic n'empêcha pas le roi d'y entrer (27 décembre 1631). Après la déchirure qu'y venait de faire à Leipzig l'épée du roi de Suède, ce drapeau n'était qu'un lambeau.
L'étourdi duc de Lorraine avait pris justement ce temps pour provoquer à la fois les deux rois. D'une part, il avait chez lui le frère de Louis XIII et le mariait secrètement à sa sœur. De l'autre, il s'en allait, dans ce
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