Histoire De France 1618-1661 Volume 14
moment terrible où le torrent de Suède emportait tout, se mettre devant. Éreinté et jeté au loin, il ne rentra chez lui que pour y voir le roi de France. Le roi eut pourtant la bonté de le recevoir, de lui dire qu'il le protégerait contre Gustave (qui ne songeait guère à l'attaquer), mais que, pour rassurer Gustave sur les intentions du duc de Lorraine, lui Louis XIII prendrait en dépôt sa ville de Marsal et ses salines, le meilleur de son revenu (6 janvier 1632).
Le duc de Lorraine méritait cela, et pis. On ne peut qu'applaudir à une ruine si méritée. Cependant Richelieu mit à sa spoliation successive, qui dura deux ans, un luxe de ruse et d'astuce absolument inutile avec ce petit prince qui ne pouvait ni se défendre ni se faire défendre par les impériaux ou Espagnols. Il prit la Lorraine en trois fois, par trois cessions successives, tenant, ce semble, à ne rien prendre que par le consentement forcé du spolié, et non comme conquête, mais comme amende et punition. Enfin il le désespéra au point qu'il alla se faire reître.
Le second grand coup de Gustave, la défaite, la mort de Tilly (5 avril 1632), donna à Richelieu une force inouïe au dehors, au dedans, pour frapper ici les amis, là les alliés de l'Espagne.
L'Espagne, battue sur le Rhin par un petit parti suédois, tombait dans le ridicule. Et ses malheurs la faisaient radoter. Elle en était à faire sa cour au pape pour qu'il tirât le glaive spirituel, octroyât la croisade contre le prince des Goths. Elle priait Venise et la Toscane de vouloir bien faire avec elle une ligue italienne. Venise s'en moquait et soudoyait Gustave-Adolphe.
On comprend le mépris avec lequel Richelieu reçut l'intervention des deux protégés de l'Espagne, la reine mère et Gaston, dans le procès qu'il faisait faire au maréchal Marillac. Ils avaient cru faire peur aux juges, effrayer la commission qui procédait. Richelieu prit sur lui le danger possible et futur. Il rassura les juges en leur laissant l'excuse de pouvoir dire plus tard, s'il le fallait, qu'il les avait forcés. Il fit faire leprocès chez lui-même à Rueil. Marillac, comme général, s'étant fort mal conduit, avait montré une inertie perfide dans les moments critiques. La trahison pourtant était difficile à prouver. Il fut condamné comme voleur, ayant détourné de l'argent, l'argent des vivres, gagné sur la vie du soldat. Sa condamnation et sa mort, malgré les menaces insolentes qu'on faisait de Bruxelles, furent une victoire sur l'Espagne, sur ses alliés, la mère et le fils (10 mai 1632).
L'Espagne ne désespérait pas d'opérer ici par nos traîtres une petite diversion. En mettant Gaston à la tête d'une bande de deux mille coquins de toute nation (qu'on disait Espagnols), on le lançait en France, où les Guise, les Créqui, les d'Épernon, et autres, même Montmorency, faisaient espérer de le soutenir. Les Espagnols promettaient tout, une armée aux Pyrénées, une flotte en Provence, etc. Et cela au moment où, de toutes parts, ils étaient enfoncés, battus, perdus, ne pouvaient plus se reconnaître. Louis XIII en fut si peu inquiet, qu'il prit ce moment pour mordre encore un bon morceau dans la Lorraine. Alléguant que Gaston avait fait en Lorraine sa petite armée, il passa au fil de l'épée deux régiments lorrains, campa devant Nancy (23 juin). Le duc, non secouru, est réduit encore à traiter, et, cette fois, cède trois forteresses.
Lui et Gaston avaient agi comme des enfants. Au défaut de l'Espagne, ils comptaient sur Waldstein; ils appelaient Waldstein, comme s'il eût pu bouger, étant alors en face de l'épée de Gustave. Seulement, comme celui-ci était obligé de se concentrer devant Waldstein,il était faible sur le Rhin, presque autant que les Espagnols. Cela permettait à Richelieu d'avancer entre les uns et les autres, de profiter de la terreur des princes-prêtres et de se garnir les mains. Les Suédois avaient préparé, Richelieu recueillait. Il arrivait, comme protecteur des catholiques, pour escamoter les conquêtes, le prix du sang des Suédois. C'est ainsi que ceux-ci, ayant battu les Espagnols dans l'archevêché de Trêves, et croyant avoir pris Coblentz, virent sur la forteresse flotter le drapeau d'une garnison française que l'archevêque y mit lui-même.
Telle était l'union de ces bons alliés. Mais l'effet moral de l'alliance n'en était pas moindre. «Ces deux puissances jointes ensemble, dit Richelieu, on sentoit qu'il n'y
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