Histoire De France 1618-1661 Volume 14
toute la noblesse de France, étaient à genoux devant le roi et priaient pour lui. Faire périr un tel homme, et dans son Languedoc même, où il était adoré, et dont lui et ses pères étaient gouverneurs depuis si longtemps, cela paraissait un horrible coup. Et un coup qui serait vengé. Monsieur avait dit que, si l'on touchait à cette tête, il connaissait plus de trente gentilshommes qui poignarderaient Richelieu.
Celui-ci nous a conservé la délibération. On y voit qu'il donna les raisons pour et contre, faisant valoir surtout les raisons pour la mort, l'avantage de décourager à jamais le parti de Monsieur, la grande difficulté de garder un tel prisonnier; puis se démentant tout à coup, et concluant à le garder comme otage.
Il est trop évident qu'il voulait que le roi eût seul la responsabilité d'un pareil acte. Mais le roi n'avait rien de spontané, nulle initiative. On avait beau lui arranger la chose, lui bien montrer la question. Il fallait que quelqu'un le poussât par un avis exprès, lui fît signer la mort. Le panégyriste du père Joseph, écrivain ailleurs très-peu grave, mérite ici quelque attention quand il affirme, «d'après des mémoires sûrs,» que le Capucin eut l'honneur de la chose,qu'il mena toute l'affaire, d'abord la trahison de Bullion, l'espoir dont il leurra Monsieur, puis le conseil de mort. Richelieu mit Joseph en avant et le fit parler avant lui. Il le connaissait vain, aimant à se faire fort d'énergie machiavélique et à faire blanc de son épée. Joseph parla d'autant plus ferme, qu'il sentait trouver faveur et appui dans le cœur de Louis XIII, porté de sa nature à la sévérité. Montmorency, condamné au Conseil, le fut immédiatement par le Parlement de Toulouse, décapité le même jour (30 octobre 1632).
L'étonnement fut extrême en France et en Europe. On ne l'eût jamais cru, et personne ne l'aurait prévu. Chacun baissa la tête, et sentit bien qu'après ce coup il n'y avait de grâce à attendre pour personne. L'effet fut plus terrible que celui de la mort de Biron. Montmorency était si aimé, que ce fut pour beaucoup comme une perte de famille, un coup tout personnel, l'effet d'un frère décapité.
On fit comme pour Biron. On calma les parents en leur donnant les biens du mort. Le mari de sa sœur, le prince de Condé, le plus avare homme de France, tendit la main, reçut. Principale origine de cette énorme fortune des Condé. Celui-ci en 1609 n'avait pas dix mille francs de rente. Sa femme l'enrichit, puis la mort de son beau-frère, qui lui valut Écouen, Saint-Maur et Chantilly. Richelieu, déjà malgré lui, avait fondé les Orléans (1626) et fonda encore les Condé. Montmorency, qui mourut comme un saint, lança pourtant, par testament, une rude pierre au front de Richelieu. Il lui fit un don, lui légua un tableau de prix.
Plusieurs des amis de Montmorency, de ses principaux gentilshommes, furent mis à mort, et leur fidélité punie. Chose nouvelle qui scandalisa, indigna. Elle brisait les vieux attachements de vassal à seigneur, de client à patron, de domestique à maître. Nul maître désormais que le roi et l'État.
Sévérité terrible, mais nécessaire. C'était le commencement du règne de la loi. Et, dans les mœurs, dans l'opinion d'alors, il y avait à oser cela et péril et grandeur.
L'effet voulu fut obtenu. Pour longtemps les partis restèrent décapités, la guerre civile impossible, et l'Espagne n'eut plus de prise. Les complots furent réduits aux chances de l'assassinat.
Dès ce jour, beaucoup désirèrent violemment la mort de Richelieu. Et cela, il faut le dire, moins encore pour son audace que pour le mélange d'une basse cruauté de robe longue qu'on crut y voir mêlé. On trouva monstrueux qu'un des gentilshommes de Montmorency fût envoyé aux galères ramer avec les forçats. Pour l'échafaud, à la bonne heure. On trouvait même que l'acte hardi de la mort de Montmorency avait été fait lâchement. Il l'avait voulue sans nul doute, et n'avait pas osé la conseiller. Il y avait montré le courage d'une âme de prêtre, ne frappant pas lui-même, mais poussant le couteau.
Il se sentit très-seul. Le spectacle de cette cour terrifiée, mais désolée, était effrayant pour lui-même. Le roi avait tenu bon au moment décisif. Mais n'aurait-il pas de retour? Par un revirement surprenant et qu'on put croire timide, à ce moment de grande audace, Richelieuenvoya à Madrid et fit des ouvertures aux
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