Histoire De France 1618-1661 Volume 14
deux jours qui suivirent son pardon, chose inouïe pour elle, elle ne put manger.
Trois personnes lui restaient fidèles et travaillaient pour elle en dessous; d'abord deux femmes généreuses, Hautefort par dévouement, Lafayette par dévotion; enfin le père Caussin, qui, sous son air béat, saisissait adroitement toute occasion de faire scrupule au roi de vivre mal avec sa femme, de tenir sa mère en exil et de continuer la guerre. Pour s'amender des trois péchés, une chose suffisait: renvoyer Richelieu.
Les Jésuites, qu'on croit de si grands politiques, satisfont peu ici. Ils se montrent flottants et peu d'accord. Plusieurs étaient pour Richelieu. Plusieurs, un père Monod, qui gouvernait la régente de Savoie et qui influait sur Caussin, Caussin même et d'autres sans doute voulaient renverser Richelieu. Mais qui eussent-ils mis à la place? On a dit le vieux Angoulême, bâtard (fort méprisé) de Charles IX; j'ai grand'peine à les croire si sots. Angoulême peut-être aurait suffi comme drapeau et mannequin; mais dessous, très-probablement, était en embuscade le seul homme capable, le père Joseph, que sa parente Lafayette eût mis sans peine au ministère.
Quoi qu'il en soit, ces souterrains, ces mines, poussés d'août en décembre, avaient réussi chez le roi. Il était pris. On le voit par une lettre craintive de Richelieuoù il lui explique qu'à tort le père Caussin dit qu'il désire se retirer ; il le fera quand la paix sera faite . Humble manière de conjurer l'orage et de gagner du temps.
Il arriva pour Angoulême ce qui était arrivé pour les parents de Lafayette. Il s'effraya de cet honneur de succéder à Richelieu. La terrible réputation du cardinal le servit encore cette fois. Angoulême lui dénonça tout. Richelieu le mena lui-même au roi, demanda si vraiment c'était lui qui le remplaçait. Le roi balbutia, s'excusa. Et Richelieu resta plus maître que jamais.
C'était le 8 ou le 9 décembre. Tous les fils laborieusement ourdis par la cabale se trouvaient à la fois rompus. Tous les moyens humains, Caussin, Hautefort et Lafayette, les avertissements, les prières, les suggestions de l'amour et de la dévotion, avaient échoué. Il fallait un coup d'en haut pour trancher le nœud, un miracle. Il se fit. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XII
LA NAISSANCE DE LOUIS XIV
1636-1637
Les origines des grandes choses ne sont pas toujours claires. Le Nil cache sa source, et l'on peut disputer sur celles du Danube et du Rhin. Ne nous étonnons pas si les vraies origines du Messie de la monarchie sont restées un peu troubles, si son fameux Noël n'en est pas moins louche. Pour bien y voir, il manque l'étoile d'Orient.
Ce qui nous permet l'examen et même l'encourage, c'est la conduite du roi, qui se montra tellement désintéressé de la chose, subit patiemment le miracle, mais n'en fut pas mieux pour la reine, ne s'émut point de ses souffrances, enfin, ne l'embrassa pas, comme c'était l'usage, après l'accouchement.
Le sceptique Henri IV s'était montré bien autre à lanaissance de Louis XIII. Tout en le proclamant aussi un don de Dieu, il avait prouvé par sa joie qu'il se jugeait l'instrument du miracle; il avait embrassé la mère, versé des larmes paternelles.
Mais ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d'État.
La date est importante et très-délicate à fixer. Si l'on en croyait la dame qui écrit la vie de mademoiselle de Hautefort, celle-ci eût fait parler le confesseur au roi et décidé le rapprochement des époux la veille d'une grande fête , évidemment Noël (25 décembre 1638). Date improbable, qui, admise, ferait naître l'enfant avant terme, ce qu'on n'a jamais dit. Date plutôt certainement fausse; au 25, le confesseur Caussin était chassé; son successeur, donné par Richelieu, n'aurait pas conseillé au roi de se rapprocher de la reine.
Le calcul exact des neuf mois [12] nous reporte, au contraire, à une date bien plus vraisemblable, au 9-10 décembre, au moment de la grande crise, au jour où Richelieu vainquit Caussin et dut le faire partir le lendemain.
Il en advint à Paris en 1637, comme à Lyon en 1630. L'enfant apparut au moment où la mère se croyait perdue si elle n'était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. C'est l' Ultima ratio des femmes, c'est le Deus ex machinâ , qui vient trancher le nœud qu'on ne peut dénouer.
Rappelons-nous les terribles secousses par lesquelles elle avait passé dans cette
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