Histoire De France 1618-1661 Volume 14
seule année 1637. Nous en comprendrons mieux l'extrémité où elle se trouva en décembre. Elle s'était vue tour à tour très-haut, très-bas. D'espoirs en désappointements et de triomphes en chutes, elle avait trouvé finalement le fond du désespoir.
Le Cid en janvier a remis l'Espagne en honneur, à la mode. Chimène a glorifié, relevé Anne d'Autriche.
Mais un astre nouveau s'est levé, plus qu'une maîtresse,—une reine possible, la jeune Lafayette. Cela dure quatre mois. Volontairement l'astre s'éteint. La reine est rassurée (mai).
À tort. L'affaire du Val-de-Grâce la met à deux doigts de sa perte (août). Pardonnée, écrasée, elle a chance encore contre Richelieu, si Caussin, si les dames peuvent réussir auprès du roi. Mais Richelieu l'emporte.
Richelieu, irrité de nouveau en décembre, poussera son avantage, fera valoir pour le divorce les aveux qu'elle a faits, les pièces qu'elle a données contre elle.
Elle était descendue où peut descendre une femme. Elle s'était humiliée (et j'allais dire offerte), avait tendu la main. On avait reculé.
Cruel affront au sang d'Autriche! L'âge aussi, pour la première fois, dut lui venir à l'esprit, et la quarantaine imminente; surprise inattendue, amère...
Plus jeune, elle avait dit à ceux qui parlaient de le tuer: «Mais il est prêtre.» L'eût-elle dit alors après un si cruel dédain?
Peut-être elle s'en fût tenue, comme faible femme, au chagrin et aux pleurs. Mais ceux qui la poussaient (je parle des agents espagnols), ceux-là, dis-je, ne pouvaient s'en tenir là. Ils la voyaient bientôt à quarante ans sans avoir encore pris racine en France. Chose honteuse pour l'habileté du cabinet de Madrid d'avoir eu si longtemps ici une infante et de n'en avoir tiré aucun parti. La Fargis n'était plus là, comme à Lyon, pour pousser la reine aux aventures. Mais madame de Chevreuse, de son exil de Tours, venant au Val-de-Grâce, y venait-elle en vain? Le mot fort et amer de Gaston (V. 1631) indique assez que la Chevreuse lui disait ce que l'oncle de Marie de Médicis lui dit au départ: «Sois enceinte.»
On sait que, bien souvent, des femmes condamnées à mort usèrent de ce remède pour gagner du temps. Celle-ci risquait plus que la mort. Elle risquait, non-seulement de ne plus être reine de France et de rentrer dans l'ennui de Madrid, mais, par un procès scandaleux, d'irriter sa famille, déshonorée par elle, et de se trouver perdue, même à Madrid. Si les confidents de la reine, en mars 1631, n'osèrent cacher à Richelieu ni son avortement ni ce qui le provoqua, l'auraient-ils soutenue, couverte jusqu'au bout dans un procès poussé à mort par le ministre tout-puissant? Que de choseson eût sues! Quelle eût été l'indignation de la prude maison d'Autriche contre son imprudente infante, quand on eût vu combien la dévotion espagnole était une gardienne peu sûre, une duègne infidèle de la vertu des reines!
C'était justement cette duègne qui moyennait ici les choses. De quoi s'agissait-il? De sauver l'Église en Europe, l'intérêt catholique aussi bien qu'espagnol. Un tel but sanctifiait les moyens. Le Jésuite Caussin n'était nullement étranger, à coup sûr, à l'art que les grands casuistes professaient depuis quarante ans. L'ingénieux Navarro, le savant et complet Sanchez, les nombreux éclectiques, comme Escobar et autres, avaient creusé et raffiné. En cent cas, l'adultère, pour une femme mal mariée, était un péché véniel.
Il est curieux de savoir quels serviteurs de confiance entouraient notre reine à ce moment. Son écuyer Patrocle la trahissait; elle ne l'ignorait pas. Laporte était à la Bastille. Bouvart, le médecin dévot, peu scrupuleux (qui ordonnait au roi une maîtresse), n'était pas très-sûr pour la reine; il avait avoué l'avortement (1631).
Au total, l'homme sûr à qui la reine pouvait se fier était Guitaut, capitaine de ses gardes. Guitaut n'était pas jeune, et il avait souvent la goutte. Il devait être suppléé dans ces moments par celui qui avait la survivance de sa charge, son neveu Comminges, un beau jeune homme, brave et spirituel, vrai héros de roman (V. Arnauld d'Andilly). C'est lui, pendant la Fronde, à qui la reine donna la périlleuse commission d'arrêter l'idole du peuple, le conseiller Broussel. Mais Mazarin(jaloux, sans doute) ne le laissa pas près de la reine, et l'envoya mourir en Italie.
La familiarité royale avec ces hauts domestiques était extrême
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