Histoire De France 1618-1661 Volume 14
contre La Rochelle et forma le renommé régiment de Champagne. Du parlement de Pau sortit l'homme que Richelieu appelait la Guerre , le fameux Gassion. Le fils du président de Thou, cet Auguste de Thou qui doit périr, va comme amateur à la guerre, en partie de plaisir, avec ses amis de la cour, aux endroits les plus dangereux, et s'amuse à se faire blesser.
Corneille amoureux fit Chimène. Corneille escrimeurfit Rodrigue. Je veux dire escrimeur d'esprit et disputeur normand. Ses drames, sauf les moments sublimes, ne sont qu'escrime et polémique.
Le Cid , présenté comme une imitation de l'espagnol, allait droit à la reine. Il fut représenté chez elle au Louvre. Richelieu fut surpris. Cet incident si grave échappa à sa surveillance.
Le coup parti, tout fut fini; impossible d'y revenir. Dès la première représentation, les applaudissements, les trépignements, les cris, les pleurs, un frénétique enthousiasme. Joué au Louvre, joué à Paris, joué chez le cardinal même, qui le subit sur son théâtre, supposant très-probablement que sa désapprobation souveraine, toujours si redoutée, tuerait la pièce, ou tout au moins verserait aux acteurs, aux spectateurs, une averse de glace; que, les uns n'osant bien jouer ni les autres applaudir, le Cid périrait morfondu.
Phénomène terrible! Chez le cardinal même et devant lui, le succès fut complet. Acteurs et spectateurs avaient pris l'âme du Cid . Personne n'avait plus peur de rien. Le ministre resta le vaincu de la pièce, aussi bien que don Sanche, l'amant dédaigné de Chimène.
Contre cette erreur du public, le tout-puissant ministre, n'ayant nulle ressource en la force, fut obligé de faire appel au public même, au public des lettrés contre celui des illettrés, aux écrivains contre la cour et la ville ignorantes. Une compagnie littéraire, à l'instar des académies italiennes, s'était formée vers 1629. Chapelain et autres bons esprits se réunissaient chez un protestant aimé de Richelieu, le savant Conrart. En 1634, le ministre eut l'idée d'en faire unesociété qui s'occupât de mots (jamais d'idées), qui consacrât ses soins à polir notre langue. Ce fut l'Académie française. Nul péril. L'innocente et honnête société devait la protection du cardinal à son fou Boisrobert, un bouffon de beaucoup d'esprit. Et elle avait pour chancelier un homme qui était tout à lui, Desmarets de Saint-Sorlin.
Le 10 juillet 1637, au moment où Richelieu recommençait encore contre l'Espagne une campagne laborieuse, au moment où la cour l'entourait de complots, son âme littéraire, plus occupée encore du succès de Corneille, éclata toute dans une solennelle ouverture qu'il fit chez lui de l'Académie française contre le Cid et le public.
L'Académie naissante ne se souciait nullement de débuter par contredire l'opinion. Il fallut les ordres précis, et même une menace brutale du ministre, pour qu'elle obéît: «Je vous aimerai comme vous m'aimerez,» dit-il. Évidemment il menaçait de supprimer leurs pensions.
On sait le jugement, faible et froid, médiocre, parfois judicieux, parfois timidement complaisant, que l'Académie publia, et l'insultante critique du ridicule capitan Scudéry, et les lâches injures de Mairet, jusque-là maître de la scène, qui s'avoua jaloux et releva encore par là le succès de Corneille.
Aurait-on pu, en 1637, après le Cid , ce qu'on avait pu en 1626, punir de mort l'obstiné duelliste revenu pour se battre sous les croisées du roi? Non, l'édit était aboli, la scène avait vaincu les lois; sur Richelieu planait Corneille.
La campagne s'ouvrait. De quel cœur la noblesse allait-elle se battre contre les descendants du Cid , ces Espagnols aimés et admirés? Français et Espagnols allaient penser également que l'ennemi n'était qu'à Paris, l'ennemi commun, Richelieu.
Tout en voulant apaiser le ministre et lui demandant pardon d'avoir réussi, Corneille allait de crime en crime. Pas une de ses pièces qui n'eût l'effet d'une conspiration. Horace , quoique dédié au cardinal, fut avidement saisi par les Romains du Parlement, les Cassius de la grand'chambre et les Brutus de la basoche. Cinna , la Clémence d'Auguste , sous cet homme inclément, parut une sanglante satire. Polyeucte fut représenté au moment où le ministre venait de mettre à la Bastille le Polyeucte janséniste, l'abbé de Saint-Cyran. Les femmes de Corneille sont déjà les frondeuses, et ce sont elles qui firent celles-ci.
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