Histoire De France 1724-1759 Volume 18
chez les Jésuites avec Girard. De soixante témoins qu'appelait la victime, ils n'en daignèrent entendre que trente. Et cependant les simples réponses de la fille étaient si accablantes, si terribles de vérité, que ses geôlières, les barbares Girardines , la forcèrent de boire un breuvage qui, pendant trois jours, la rendant idiote, la fit parler contre elle-même. Deux hommes intrépides manifestèrent le crime. L'affaire alla au Parlement.
Toute la belle société à Aix était pour les Jésuites. Les grandes dames se confessaient à eux. Girard, fort à son aise, établit qu'il n'avait fait que suivre les pratiques de la haute mysticité. Que le confesseur s'enfermât avec sa pénitente et la disciplinât, c'était son droit et son devoir. L'ignorance seule des laïques pouvait disputer là-dessus. Ce qu'on pouvait trouver d'indécent ou d'impur, était recommandé, comme effort d'humilité obéissante, brisement de l'orgueil et de la volonté. Sans recourir aux anciens livres, il pouvait attester le grand livre à la mode, livre de cour, dédié à la reine de France, écrit par un évêque et approuvé, la Vie de Marie Alacoque (in-4 o , 1729). L'obéissance est à chaque ligne préférée à toute vertu. Jésus y dit lui-même: « Préfère la volonté de tes supérieurs à la mienne. » (Languet, p. 46, édit. de 1729). Et ailleurs: « Obéis-leur plutôt qu'à moi. » (Languet, 120.)—C'est-à-dire: Obéis au prêtre contre Dieu.
Mais quand il serait vrai, disaient les grandes dames de Provence, que ce bon P. Girard lui eût fait tant d'honneur que d'avoir avec elle certaines privautés, elle était bien osée de manquer à son Père, à l'ordre des Jésuites. C'était un monstre à étouffer.
Le parquet y conclut: «À ce qu'elle fût pendue et étranglée à Toulon sur la place du couvent des Dominicains.» Plus, une poursuite criminelle contre ses frères qui l'ont soutenue. Plus, l'avocat, nommé d'office,qui l'a défendue par devoir, pour obéir au Parlement, il sera poursuivi aussi!
Seulement, pour l'étrangler, il eût fallu une bataille. Tout le peuple courut à sa prison, criant: «N'ayez pas peur, mademoiselle! Nous sommes là, ne craignez rien!»
Sur cela un recul violent dans le Parlement. Les Jansénistes y sont encouragés, et plusieurs magistrats déclarent Girard digne de mort ,—bien plus, digne du feu . Exagération maladroite qui le servit plutôt. Les Jansénistes, en le faisant sorcier, en voulant voir partout le Diable dans l'affaire, se rendirent ridicules. Les tolérants faiblirent, immolèrent la justice, plutôt que de brûler un homme. Au jugement (octobre 1731), douze prononcent la mort de Girard, douze l'absolution. Le président fait treize. Il est absous.
On faillit mettre en pièces et Girard et le président.
L'hypocrite jugement disait «que la Cadière serait rendue à sa mère .» Et en même temps on la traitait en calomniatrice. Elle payait les dépens du procès, et ses mémoires étaient brûlés par la main du bourreau.
Rendue! Il était impossible de la ramener à Toulon, où elle aurait eu un triomphe, où on brûlait Girard en effigie. Nulle trace de la pauvre fille ne put être trouvée depuis. Quand on songe que les Jésuites firent persécuter, exiler, ceux qui se déclaraient pour elle, on ne peut pas douter que leur infortunée victime, qui malgré elle les avait fait connaître, n'ait été enfermée dans quelque dur couvent à eux, et scellée sous la pierre, dans un mortuaire in pace .
Elle n'en rendit pas moins, par son procès, un immense service. On comprit dès lors à merveille pourquoi le clergé s'agitait, avait tellement impatience de se débarrasser des justices laïques. Dans ce Parlement d'Aix, si favorable aux prêtres, qui dès François I er fit le massacre des Vaudois, qui, dans l'affaire récente, blanchit Girard et flétrit la Cadière, dans ce Parlement même la lumière avait éclaté. La justice, en ses formes, ses enquêtes, ses interrogatoires, est essentiellement indiscrète. Le monde de la Grâce, de la nuit, du silence, a horreur de cela. Tout contact avec la Justice lui semble une persécution .
Grande était sous Louis XIV l'indulgence dont jouissait le prêtre. On voulait seulement qu'il fût un peu décent. Le monde trouvait bon qu'il eût une amitié intime, comme un demi-mariage. Quand l'archevêque Harlay, décrié pour ses couturières, prit une amie sortable, une veuve, une duchesse, il ramena l'opinion.
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